17 ans plus tard, le retour du rappeur-avocat anti-piratage

En 1992, une vidéo kitsch essayait de convaincre les jeunes de ne pas pirater les logiciels via un rap de propagande. Devant son peu d'efficacité, le rappeur fait son retour...
par Alexandre Hervaud
publié le 7 juillet 2009 à 16h22
(mis à jour le 7 juillet 2009 à 19h46)

En 1992, l'association américaine des éditeurs de logiciels se creuse la tête pour bien faire comprendre au kids que copier leurs jeux vidéo (sur disquette), c'est mal. Et leurs programmes éducatifs, pareil, faut pas charrier. Le partage de l'information, des connaissances ? Et pourquoi pas une encyclopédie en ligne gratuite et collaborative pendant qu'on y est ! En ces temps-là, le P2P n'a pas commencé son ouvrage d'annihilation progressive de l'industrie musicale, et celle-ci fait ses choux gras avec les stars du hip-hop US qui enquillent les tubes. Rien qu'en 1992, les bacs accueillent les nouveaux opus de Dr Dre, Redman, Ice Cube, Common, EPMD... Alors forcément, dans les hautes sphères des éditeurs bien décidés à ne pas se faire piller leur dur labeur par des boutonneux à casquette, une idée de génie s'impose : tourner un clip de propagande anti-piratage, avec du rap.

C'est le réalisateur, scénariste et producteur M.J. Villardi qui s'y colle. Devant sa caméra, l'improbable M.E. Hart, avocat, comédien, et ancien scénariste d'une série TV sur des lycéens devient l'infamant MC Double Def DP (pour Disk Protector), rappeur attaché aux valeurs créatives et au respect du copyright. Le synopsis de ce long clip (plus de 9min30) est le suivant : deux teenagers s'éclatent sur un jeu vidéo, seuls dans leur salle de classe. Il est temps de rentrer à la maison, mais le perdant a envie de prendre sa revanche, et décide donc de copier sur une disquette le jeu, afin de pouvoir continuer à jouer à domicile. Grave erreur, car cette tentative de copie illégale fait apparaître sur l'écran d'ordinateur notre MC DP qui commence à rapper. Le refrain donne son titre au clip : «Dont' copy that floppy» («ne copie pas cette disquette»). Un morceau embarrassant entrecoupé d'interventions de programmeurs et artistes bien décidés à défendre leur bout de gras entre deux beats .

17 ans plus tard, la chose apparaît clairement encore plus ringarde qu'à l'époque. On pourrait légitimement penser qu'une telle perle était destinée à hanter les bas-fonds de YouTube, pour ressortir de temps à autres de blogs en blogs histoire de faire rire la galerie, un peu comme le film culte de propagande anti-marijuana Reefer Madness (1936), tout en suivant ses auteurs comme une casserole honteuse ad vitam aeternam . Mais en fait non. Tout faux. Comme nous le signale Cory Doctorow sur Boing Boing , la Software & Information Industry Association a décidé de récidiver en donnant une suite à Don't Copy the Floppy , qui s'intitulera Don't copy that 2 (jeu de mot avec «don't copy that too», soit «ne copie pas ça non plus»). Dans le genre suite improbable, on atteint facilement ici le niveau de Donny Darko 2 . La chose n'est pas encore disponible, mais un teaser permet d'apprécier les réjouissances à venir. Accrochez-vous, MC DP (maintenant pour Digital Protector !) est de retour et ça va faire mal :

Comme le note fort justement Doctorow, pas sûr que les éditeurs derrière cette campagne se soit concertés en disant : « Vous savez, à force de produire des trucs pareils, les gens vont peut-être se dire qu'acheter des logiciels ne sert qu'à financer nos efforts pour envoyer leurs êtres chers en prison » . Dans cette nouvelle version annoncée «bigger and better» que l'originale, les mp3 et autre divx ont logiquement remplacé les disquettes. Si la technologie a évolué, le discours n'a lui pas changé : «ce n'est pas de la copie. C'est un crime» . Les scènes en prison sont là pour l'attester. Autre nouveauté appréciable : la présence de Klingons pour faire plaisir aux fans de Star Trek qui, espérons-le, n'apprécieront pas la référence malgré leurs légendaires goût déviants. Tout comme la première vidéo, celle-ci ressemble plus à une parodie qu'à un vrai document censé motiver la jeune génération élevée au Bittorent à faire chauffer la CB pour s'offrir le dernier Photoshop.

Derrière la caméra, M.J. Vilardi reprend les commandes de son «succès» de 1992, qu'il va revisiter sans doute à la manière d'un Hitchcock customisant son propre Homme qui en savait trop en 1956, plus de vingt ans après l'original. Un tour sur le blog de M.J. Vilardi peut d'ailleurs s'avérer instructif. Première surprise venant d'un homme assurant la promotion caricaturale des manitous du logiciel : son blog est sous licence Creative Commons, autrement dit tout son contenu est reproductible en citant l'auteur, sauf pour une utilisation commerciale dans le cas présent. On apprend aussi que M.J. est un fervent démocrate, ce qui ne veut certes rien dire au vu des accointances d'Obama en matière de partisans du copyright, mais tout de même. Et le bonhomme n'a pas l'air fondamentalement débile, il s'intéresse à diverses questions notamment «le consumérisme a-t-il dévoré la culture» , etc. Ce qui nous amène à l'hypothèse suivante : et si, dès 1992, ce brave M.J. s'était donné comme but de ridiculiser à vie ses employeurs, enterrant à jamais leur crédibilité six pieds sous terre ? On pourrait alors dire qu'il a brillamment rempli sa mission.

NB : Dans un autre genre, les 10èmes Rencontres Mondiales du Logiciel Libre ont lieu en ce moment même depuis ce matin et jusqu'à samedi, à Nantes. Soyons honnêtes, les promoteurs du libre ne sont pas toujours très funky dans leurs vidéos, mais ça reste tout de même une bouffée d'air frais face à la rengaine des éditeurs de logiciels propriétaires... A bon entendeur !

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