22, voilà Netflix

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 5 octobre 2011 à 10h52
(mis à jour le 5 octobre 2011 à 16h14)

Un loueur de DVD par la poste -- et pourquoi pas par pigeon voyageur, diligence ou pneumatique, tant qu’on y est ? -- menace de mettre les télés du monde entier à genoux. Gasp. C’est l’américain Netflix, sept lettres blanches ourlées de noir sur fond rouge sang. Et voilà Ted Sarandos, directeur des contenus de Netflix, qui s’avance sur la grande scène du Palais des festivals de Cannes où se tient cette semaine le Marché international des programmes, le Mipcom. On entendrait presque sonner ses éperons.

Car Netflix, outre son activité de location de DVD par voie postale (aujourd’hui rebaptisée Qwikster), c’est désormais surtout un service de vidéos en ligne sur abonnement au succès pétaradant : près de 25 millions d’abonnés en moins de dix ans d’existence, et l’objectif, après les Etats-Unis et le Canada, de s’installer dans plus de 40 pays d’ici à la fin de l’année. La baraka de Netflix est telle qu’aux Etats-Unis, le site représente 30% du trafic internet global…

Pour 7,99 dollars par mois (5,99 euros, soit cinq fois moins cher que la facture de Canal +, on dit ça, on dit rien), un abonné à Netflix a accès à des milliers d'heures de cinéma et de télévision. Qu'il peut voir, of course, sur son ordinateur mais aussi, une fois celui-ci relié, sur sa télévision, ou alors en passant par sa console de jeux, XBox 360, Wii et PS3, du moment qu'elle est branchée à Internet. Ce qui vaut donc aussi pour smartphones, tablettes et grille-pain connectés au Web. Oui mais, nous direz-vous, si vous travaillez à Canal +, Netflix perd des contrats tels, récemment, ceux des films Disney et Sony. Et surtout, les programmes ne sont pas de la première exclu. Oui mais ça change. Désormais, Netflix s'aligne aux côtés des autres télés payantes pour acheter de la production originale. En mars, le site signait ainsi l'achat d'une série de David Fincher, House of Cards , et hier, au Mipcom, Ted Sarandos a confirmé que, pour les Etats-Unis, c'est bibi qui aurait l'exclu des Borgia , écrit par Tom Fontana ( Oz ) et produit par Canal+. Dans la même veine, Ted Sarandos a annoncé hier avoir conclu un accord pour la série américaine Lilyhammer , qui voit un ancien mafioso new-yorkais repenti bénéficier du programme de protection des témoins en Norvège. Tandis que la série culte Arrested Development , interrompue il y a trois ans, pourrait revenir, financée par un pré-achat de Netflix.

Basé au départ sur le cinéma, Netflix louche de plus en plus sur la télévision. «Les films représentent 80% de nos locations de DVD , indique Sarandos, alors que 50, voire 60% de nos visionnages en ligne sont des épisodes de séries télé.» Du coup, Netflix n'hésite pas à mettre le paquet : près d'un million de dollars (750000 euros) l'épisode de Mad Men , même si la série a déjà été diffusée à la télé. «Que ce soit pour Mad Men ou Breaking Bad, les premiers épisodes des premières saisons font à chaque fois les meilleures audiences de Netflix , plastronne Sarandos. Ça pourrait donner l'impression qu'on se détourne du cinéma mais non : ce sont juste les consommateurs qui disent ce qu'ils veulent voir.» Netflix leur file aussi un petit coup de main grâce à un «algorithme de recommandation» , inséré dans le bouzin, raconte Ted Sarandos : les abonnés qui ont regardé le film 300 où tout le monde est en spartiates se sont ainsi vus suggérer Spartacus , la série elle aussi en spartiates.

Bref, Netflix est beau, intelligent, pas cher ; mieux, Netflix fait rendre gorge aux vilains pirates de la Toile. «Avant notre arrivée au Canada, le plus gros fournisseur de vidéos en ligne, c'était Bittorrent [qui permet de télécharger un tout petit peu illégalement séries et films en peer-to-peer, ndlr]; depuis notre arrivée, il ne fait que décliner» , se les frise Sarandos. C'est une des raisons qui poussent Netflix à se lancer bientôt -- normalement en janvier, même si Sarandos se refuse à confirmer -- en Espagne, grande patrie de piratos. À en croire Netflix, vu son tarif d'abonnement peu élevé, son énorme catalogue et la qualité des vidéos, les adeptes du téléchargement illégal ne mettent pas longtemps à rejoindre les rangs de ses abonnés sonnants et trébuchants. Actuellement, après l'Amérique du Nord, Netflix s'est concentré sur l'Amérique latine, en commençant début septembre par le Brésil.

Bref, les anglophones, les lusophones, les hispanophones… Et les fromagesquipuentphones, alors ? Ben rien : Netflix ne prévoit pour l'heure pas de lancement en France, mais certains s'organisent déjà, au cas où. Deux anciens d'Allociné s'apprêteraient à lancer iCinéma, un équivalent français de Netflix. Mais celui qui a le plus à perdre dans l'affaire, c'est Canal+. Tiens, justement, le groupe devrait étrenner tout bientôt -- «d'ici la fin de l'année, tout n'est pas réglé» , avance-t-on du bout des lèvres -- son propre service de vidéos en ligne par abonnement. Ça presse.

Paru dans Libération du 4 octobre 2011

De nos envoyés spéciaux à Cannes

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