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Libération

3615 code qui n’en veut plus

par Marie Lechner
publié le 6 juin 2012 à 18h57
(mis à jour le 6 juin 2012 à 19h13)

L’an dernier, on a regardé mourir cette bonne vieille télévision analogique. Et après une longue agonie, c’est le Minitel qui s’éteindra définitivement le 30 juin, en même temps que le réseau Transpac qui le véhiculait. Et ce, en dépit des 810000 terminaux encore en fonctionnement (contre 9 millions en 2002) et près de 1800 services toujours accessibles (contre 25 000 au moment de son apogée).

Si les plus jeunes considèrent le cube en plastique beige comme une curiosité vintage, l’introduction du Vidéotex interactif dans les foyers français, en 1982, fut une véritable révolution, scellant la convergence entre informatique et télécommunications.

Dans leur livre qui vient de paraître, le Minitel, l'enfance numérique de la France , Valérie Schafer, spécialiste de l'histoire des télécommunications, et Benjamin G. Thierry, chercheur travaillant sur l'histoire des interfaces homme-machine, parlent d'une «innovation radicale» tant dans les usages (première base de données grand public facilement accessible dans le monde et premier dispositif écran-clavier largement diffusé), que dans le modèle économique.

Le Minitel avait sa «killer application», l’annuaire électronique, que certains utilisent alors pour retrouver des personnes perdues de vue, et qui sert de porte d’entrée aux autres services. Et surtout, son système de tarification particulièrement lucratif, le kiosque, lointain ancêtre de l’AppStore, introduit en 1984. Le kiosque permettait un accès immédiat, sans abonnement et une facturation simple, l’idée étant de faire payer au consommateur une surconsommation téléphonique, redistribuée entre l’opérateur (40% à France Telecom) et le fournisseur de service (60%). Parmi les 5 à 6% de minitélistes accros, les factures pouvaient flirter avec les 10 000 francs par mois, ce qui contribua à la légende.

Car si le terminal low-tech était distribué gratuitement -- un pari, vu son coût de revient de 1000 francs -- il fallait trouver un moyen de rentabiliser les investissements. Lors de son âge d'or (de 1984 au milieu de la décennie suivante), il généra près d'un milliard d'euros. Et cela en dépit de la fronde de la presse, mécontente de l'arrivée de ce support qui menace ses recettes publicitaires et présage (déjà à l'époque) «la fin de la civilisation du papier» , avant de se raviser et de faire son beurre dans les messageries dites «conviviales», comprendre «roses» (le pionnier Gretel des Dernières Nouvelles d'Alsace , Aline du Nouvel Obs ).

Après avoir accompagné les Français durant trente ans, la Little French Box, motif de fierté nationale (bien qu'elle n'ait jamais réussi à s'exporter), premiers pas dans la modernité numérique, s'est fait balayer par les autoroutes de l'information. Son modèle centralisateur, vertical, est critiqué à l'heure du Web. On l'accuse d'avoir freiné la marche de la France vers Internet, ce que contestent Schafer et Thierry, qui organisent un colloque la veille de son extinction (1). Les historiens estiment que le Minitel fut au contraire la matrice d'une véritable culture télématique, analyse confirmée par les témoignages des minitélistes de la première heure. «Les messageries, l'utilisation des pseudos, la VPC, la réservation des billets de transport, la gestion bancaire en ligne, l'actualité initient les minitélistes à une existence online dont les usages et les représentations n'apparaissent pas dans l'hexagone avec le Web, mais bien avec le Minitel.»

(1) Colloque «3615 ne répond plus», le vendredi 29 juin à l’Institut des sciences de la communication du CNRS, 20, rue Berbier-du Mets, 75013.

Pour aller plus loin :

Benjamin Thierry est cette semaine l'invité du podcast d'Ecrans.fr . La version vidéo passera ce soir (mercredi) à 20h sur la chaîne Nolife, et sera visible demain (jeudi) sur Ecrans.fr.

Paru dans Libération du 6 juin 2012

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