39-45 chrono

France 3 lance jeudi «Un village français», une ambitieuse série au long cours sur les comportements en demi-teinte des habitants d’un village fictif du Jura pendant l’Occupation.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 30 mai 2009 à 18h21
(mis à jour le 27 mars 2012 à 11h35)

Les concerts de Tino Rossi ou la vie au grand air, youkaïdi, youkaïda ? La possibilité d'apprendre une jolie langue étrangère à peu de frais ou, toujours comme ­disait l'infâme Desproges, boum le train ? La collaboration ou la résistance ? Les deux, Herr Général, nous répond Un village français , une fiction qui, pour la première fois, raconte l'Occupation telle qu'elle était : des Français ni (trop) collabos, ni (trop) résistants. Jeudi à 20 h 35, France 3 démarre, à raison de deux épisodes par semaine, la diffusion de cette chronique vraie d'une fausse ville française pendant la guerre. Vous hésitez encore pour votre soirée de jeudi : TF1 et Alice Nevers ou M6 et NCIS  ? Non, ce sera nach France 3.

«Un mastodonte»

Une saison en boîte, une autre déjà tournée, une troisième en cours d'écriture. Et ainsi de suite si tout va bien (entendez, si l'audience dépasse les 15 % de parts de marché habituels de France 3 le jeudi soir), jusqu'en… 2013 ! Au scénario, Frédéric Krivine ( P.J. ou encore Opération D.P. pour France 2) ; à la réalisation, Philippe Triboit ( Engrenages sur Canal + ou l'Embrasement sur Arte) et l'historien Jean-Pierre Azéma à la véracité. Trois cadors pour ce que Krivine décrit comme «un mastodonte» . «C'est un des plus gros projets de France 3, confirme Vincent Meslet, le directeur des programmes de la Trois. Une œuvre forte qui doit marquer la chaîne et son ambition culturelle.» Ouch, rien que ça, et plus encore : un million d'euros l'épisode (dont 700000 euros payés par France 3, le reste provenant du producteur Tetra Média et d'Europacorp, la société de Luc Besson) et un rythme d'écriture assez rare en France. Trois mois seulement séparent la première saison de la seconde, prévue à l'automne, et les suivantes tomberont chaque année, une cadence inédite pour une telle fiction dont seule la télé peut exprimer la durée : une batterie de scénariste élevés sous le Krivine pond des idées dont il fait ensuite son omelette, et roule ma poule.

12 juin 1940

Pff… Et, vous dites-vous, c'est reparti pour une nouvelle fiction sur l'Occupation, le poste à galène grésillant du MC Charles de Gaulle le 18 juin 40, les valeureux résistants hurlant «Vive la France» sous les balles nazies, l'infect collabo (si possible épicier ou pharmacien), les coiffures crantées des femmes, tandis que sourd, des campagnes et du cœur des hommes libres, un air de défi qui fait «mmmm» au son du Chant des partisans . Mais non: rien de rien de cette Occupation d'opérette dans Un village français . Ici, on compose, on s'accommode, on tergiverse, on désobéit, un peu. Un jour, on est un salaud ; le lendemain, moins ; et peut-être résistera-t-on plus tard, ou pas.

Le premier épisode s'ouvre sur une date, 12 juin 1940. Une belle journée de printemps à Villeneuve, sous-préfecture fictive du Jura figurant à peu près Dole. Des échos lointains de la débâcle, des maris prisonniers, dans un champ, un canon français abandonné sur lequel grimpent les mômes de l'école venus pique-niquer. Un avion passe et, tchak-atchak-atchak, mitraille à la volée les écoliers. La guerre est à Villeneuve, d'un coup, au coin d'une rue, ils sont là : les Allemands. Ou plutôt, en dialecte d'alors, les Boches. Un convoi passe, une moto, un tank et la population de Villeneuve est comme frappée d'hébétude. Que faire ? Rester planté là, groggy. C'est l'essence et la règle d'or d' Un village français , les personnages ne réagissent qu'en fonction de ce qu'ils savent alors : rien.

La zone grise

«Dans tous les films, dans toutes les feuilletons, ils ont tous entendu l'appel du 18 juin : ma pomme, oui !» Si Jean-Pierre Azéma est bien fier d'un truc, c'est d'avoir fait de la «zone grise» l'héroïne d'Un village français. Après le mythe gaulliste d'une France entièrement résistante puis celui d'une France de collabos, d'une France blanche et d'une noire, voilà la grise, une idée développée par les historiens depuis le début des années 80 : «C'est l'ambivalence de cette période, explique Azéma, ce n'était pas ceci ou cela mais ceci ET cela.» Et la zone grise, c'est le héros de la série, Daniel Larcher (Robin Renucci) qui l'incarne. Il est médecin, bombardé par la force des choses maire vichyssois de Villeneuve et sans cesse contraint de faire le tampon entre la population et le nouveau maître des lieux, l'officier allemand Von Ritter. «Le Maréchal, c'est tout ce qui nous reste, réfléchit à haute voix un Larcher en plein doute, qu'il serre la main de Hitler, ça ne me plaît pas, mais je suppose qu'il sait ce qu'il fait.» Azéma résume : «Pourquoi résisterait-on ? Les Fritz sont maîtres, le traumatisme est extrême, et il y a ce vieux mec, Pétain. Qui peut dire qu'il est plus patriote que lui ?»

La grande histoire dans la petite

Frédéric Krivine a lu toute la presse de l'Occupation et a fait, en plus, appel à Jean-Pierre Azéma. «L'encadrement historique ne pouvait pas être vulnérable, indique Azéma, il ne s'agit pas de faire des notes infrapaginales mais de faire du vécu vraisemblable. Le diable est dans les détails.» Et pour chasser Satan, il a été présent à tous les stades de l'écriture du scénario : ouste la boîte à œufs anachronique ; rayé, le lait en berlingot volé dans le deuxième épisode, remplacé par de la beaucoup plus up to date , en 1940, pâte de coing. Parfois, ce sont des scènes entières qui ont été coupées, comme celle où le flic devait se déchausser pour faire langoureusement du pied à Hortense, la femme du maire. Problème, a expliqué Azéma, pour enlever sa chaussure, il faut porter des mocassins qui n'existaient pas en 1940. La scène a disparu et le poulet a remballé son pied et ses pulsions avec. Mais le «vécu vraisemblable» d'Azéma, c'est surtout la grande histoire et son incursion, ou pas, dans la petite. Ainsi faut-il attendre le troisième épisode pour que le mot soit enfin prononcé : «Juif». C'est en octobre 1940, quand la directrice de l'école est révoquée, comme tous les fonctionnaires juifs. Inquiétant, mais pas plus que ça, lui assure le commissaire : «Qu'est-ce qu'ils peuvent vous faire de plus ?» L'antisémitisme est alors ordinaire ( «Elle est israélite, glisse un personnage, mais elle est gentille» ) et la Shoah, inconnue. La déportation arrivera dans le scénario bien plus tard, «pas avant l'été 42» , précise Azéma. De même, le pacte germano-soviétique imprègne l'intrigue : pas question pour les communistes de Villeneuve de faire un choix. « Les banquiers de Berlin contre les banquiers de Londres, ça ne nous regarde pas» , lâche l'un d'eux.

Les petites histoires dans la grande

Immanquablement, ce Village français évoque Heimat , ce feuilleton-fleuve allemand de 1984 racontant, à travers la chronique d'un bled de Rhénanie, soixante ans d'histoire allemande. «C'est une comédie humaine passée au shaker de l'Occupation» , décrypte Krivine. Ainsi pendant que l'occupant occupe, pendant que Vichy recense les Juifs, les habitants de Villeneuve continuent de tricoter leurs petites histoires. Le patron de la scierie Raymond Schwartz (Thierry Godard) fricote avec la femme de son métayer (et lui couvre le corps de baisers : «Un pour les Boches, un pour Pétain… ah non, pas pour Pétain» ).

En même temps qu'il est aux prises avec les Allemands, le maire Larcher vole l'enfant d'un réfugié pour sa femme qui ne peut pas en avoir. «C'est aussi une série sur la clandestinité, à la fois au sens historique, mais aussi au sens des passions et des pulsions» , explique Krivine. Ce qui donne par moments à la série un côté mélo façon Plus belle la vie chez les nazis. Comme les personnages, l'intrigue hésite et parfois se relâche, la dramaturgie détestant la nuance. Il faut persister, car ce Plus belle la vie au sale goût de rutabaga nous renvoie à la désagréable position du pékin de 1940. Au téléspectateur de 2009 de faire avec.

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