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Libération

A France 24, la défiance règne

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 17 décembre 2010 à 9h56
(mis à jour le 17 décembre 2010 à 12h09)

«Faites-vous confiance pour le développement et l'avenir de France 24 à… Alain de Pouzilhac ? Oui ; non ; je m'abstiens. Christine Ockrent ? Oui ; non ; je m'abstiens.» A lui seul, le bulletin de vote -- en français et en anglais -- proposé aux salariés de France 24 à l'issue des AG qui se sont tenues mercredi résume l'ubuesque de la situation que vit l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), déchiré entre son patron, Alain de Pouzilhac, et sa numéro 2, Christine Ockrent. Entre les deux, l'air est devenu à ce point irrespirable qu'ils ont eu droit mardi à un remontage de bretelles par leur ministre de tutelle (avec Matignon), Frédéric Mitterrand, et depuis mercredi à une mission d'information parlementaire.

Au cœur du conflit entre Pouzilhac et Ockrent -- qui ne pouvaient de toute façon plus s'encadrer depuis l'été --, cette affaire d'espionnage : une cadre de l'AEF, proche d'Ockrent, a été licenciée après avoir admis s'être immiscée dans le système informatique. Ockrent était-elle au courant ? Etait-elle la commanditaire ? La «Reine Christine» continue, de RTL en Canal +, et d'Europe 1 en France Info, à nier.

Le sentiment des salariés sera connu aujourd'hui, à l'issue du scrutin qui se terminait à minuit. Mais d'emblée, dans les deux AG (pour cause de desk tournant sur la chaîne info), il y a scission. Tous les syndicats contre le SNJ-CGT. Pour ce dernier, ce sont les deux têtes qui doivent être coupées : «Les deux c'est bonnet blanc et blanc bonnet, les deux ont géré les entités de l'AEF, RFI et France 24, de manière catastrophique, ils étaient d'accord. Je préfère qu'on fasse table rase du passé» , estime Sabine Mellet, déléguée syndicale.

Les autres organisations sont sur la ligne défiance à Ockrent et elle seule : «Pouzilhac n'est pas parfait , juge Alexia Wodli, déléguée syndicale CGC Médias, mais il faut dépasser ça et ne pas oublier qu'on va vers un changement majeur à France 24 qui est la fusion avec RFI. Pouzilhac connaît bien la maison, et puis on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on récupère.» Une majorité de salariés semble se prononcer contre la seule Ockrent. «Il y a deux bilans qui se font face , déclare le journaliste Gauthier Rybinski, et celui de Pouzilhac est infiniment plus substantiel, et je ne parle même pas des récents agissements éventuellement délictueux.» Lui redoute «le coup de balai général qui verrait l'Etat virer Pouzilhac et Ockrent et qui pourrait entraîner à terme celui de France 24» . A Ockrent, Rybinski reproche notamment d'avoir favorisé la rédaction francophone au détriment de l'arabophone et les «dépenses inconsidérées» qui ont suivi. «Elle a mis en place une structure parallèle, tenue par un réseau de proches, qui vise à court-circuiter l'organisation» , dénonce-t-il.

Rhabillée ainsi pour l'hiver et pour les deux suivants, Ockrent a le cuir épais doublé, dit-on, d'une promesse de Nicolas Sarkozy à Bernard Kouchner, son compagnon, de ne pas être éjectée de l'AEF. Mais critiquée par la rédaction, boycottée par la direction de France 24 qui refuse d'assister aux réunions en sa présence et lestée d'un lourd soupçon, sa situation paraît intenable. Pourtant interrogée mercredi par l'AFP, Ockrent faisait encore sa bravache : «Ce ne sont pas les assemblées générales qui décident de la marche de l'entreprise.» À voir : les tutelles de l'AEF regarderont aujourd'hui de très très près les résultats du scrutin, avant de trancher -- ou pas -- une tête, ou deux.

Paru dans Libération du 16/12/2010

Sur le même sujet :

- Ockrent boycottée à France 24 (24/12/2010)

- Crise et châtiments à France 24 (24/10/2010)

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