A La Havane, la politique du bas débit

Si les étrangers sont privilégiés, les Cubains n’ont toujours qu’un accès restreint à Internet.
par Eric Landal
publié le 11 août 2009 à 17h08
(mis à jour le 5 juin 2013 à 13h10)

Chez lui, à La Havane, Roberto a déjà un ordinateur – monopolisé par sa fille fanatique du jeu vidéo les Sims  – et une télévision sur laquelle il regarde Desperate Housewives en DVD. Ne manque qu'Internet à ce passionné de nouvelles technologies. Mais avec la parabole, illégale, qu'il a récupérée et l'aide de quelques amis bricoleurs, il compte bien y avoir accès très bientôt. «On est dans une zone géographique idéale pour capter les signaux des satellites, je croise les doigts pour que ça fonctionne.»

Car, pour tous les Cubains, obtenir une connexion depuis son domicile relève toujours de la mission impossible. La faute, explique le gouvernement, à l’embargo des Etats-Unis qui frappe l’île depuis 1962. Alors qu’un câble sous-marin passe à quelques kilomètres de Cuba, il ne peut raccorder le pays à un réseau à haut débit digne de ce nom car il bat pavillon américain. L’île se débat donc avec une connexion lente, via satellite. Mais le régime n’en finit pas non plus de freiner l’usage du Web.

L'accès aux «business centers» des hôtels – de 6 à 12 pesos convertibles l'heure de connexion (entre 4,6 et 9,1 euros) – est réservé aux touristes, sauf exceptions temporaires. Et dans les bureaux de poste, qui ne donnent accès qu'à une messagerie à usage national, «l'heure est passée de 1,5 peso à 6 pesos en un an alors que le salaire moyen cubain est de 18 pesos par mois !» déplore Franco, un technicien informatique d'une trentaine d'années. Selon lui, le gouvernement veut empêcher la population de lire les blogs qui se multiplient malgré tout sur l'île. «Notamment celui de Yoani Sanchez, "Generación Y" » , dit-il. Mais le site qui héberge les écrits, très critiques, de cette jeune femme, lauréate du prix espagnol de journalisme Ortega y Gasset, est de toute façon bloqué sur l'île. Et n'est donc connu que de rares initiés.

Comme toujours, les Cubains s'arrangent. Et leur salut passe par les étrangers. Privilégiés, ils peuvent obtenir une connexion chez eux. Mais à un prix prohibitif : environ 150 pesos convertibles (114 euros) par mois pour une connexion 24 h/24. Franco accède ainsi au Web car il travaille pour un entrepreneur vénézuélien. Universitaire, Luisa se rend chez un de ses élèves étrangers «qui a Internet et a installé plusieurs ordinateurs portables dans sa chambre. C'est comme un petit cybercafé clandestin ! explique-t-elle. Mais l'an dernier, j'ai fait, en accord avec ma fac, une demande de cours en Espagne. Problème : quand elle a été acceptée, j'ai dû confirmer depuis l'adresse Yahoo que j'avais donnée lors de mon inscription. Or ma faculté n'a pas accès au site. J'ai dû aller voir un contact à la fac de médecine, où il n'y a pas de restriction.»

La situation pourrait être amenée à évoluer dans les prochains mois. Le 13 avril, Barack Obama a en effet autorisé les entreprises américaines à négocier des accords permettant de relier l'île par fibre optique ou satellite. Un accroc dans l'embargo, qui survient alors que le président Raúl Castro avait promis peu après sa prise de pouvoir officielle, en février 2008, de supprimer «les prohibitions excessives» . Mais «il n'a pas daigné informer clairement la population de la proposition d'Obama , raconte, dépité, Franco. On attend donc toujours sa réponse !» Comme on attend toujours la mise en service d'un câble ­sous-marin de plus de 1 600 kilomètres entre le port de La Guaira, au nord du Venezuela, et l'est de Cuba.

Lancé en 2007 par les deux pays alliés, le projet est censé coûter 72 millions de dollars (50,8 millions d'euros) et multiplier par 3 000 le trafic de l'Internet cubain. Il devait être opérationnel fin 2009 ; les autorités vénézuéliennes parlent désormais du premier semestre 2010. Mais Luisa reste sceptique : «Le gouvernement censure l'information dans la presse et à la télévision et démocratiserait Internet ? Qui peut croire ça ?»

Paru dans Libération du 11 août 2009

LA HAVANE, envoyé spécial

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