A Nono z'amours

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 18 novembre 2012 à 15h30
(mis à jour le 19 novembre 2012 à 13h44)

«Tu es belle, mamour.

- Oh, c’est gentil, mais toi aussi, tu es beau, bébé.

- Qu’est-ce qu’on fait, mamour ?

- Je sais pas, bébé, du vélo d’appartement ?

- Non, mamour, faisons plutôt un article.»

Vous qui pénétrez par effraction dans notre intimité, ne montez pas sur vos petits poneys. Vous êtes contre l'amour ? Vous n'aimez pas les vrais sentiments, ceux qui vous transportent chez le tatoueur vous faire graver au creux des reins et à l'encre de la passion le même dessin d'un dauphin avec l'inscription «Dr Garriberts pour la vie» ? Alors, il n'est pas sûr que vous appréciiez l'œuvre audiovisuelle dont nous allons vous entretenir. «La Belle, le Milliardaire et la Discrète», ça s'appelle, un reportage diffusé mardi sur la RTBF dans Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) , magazine rejeton de Strip-tease. La Belle, c'est Jade Foret aléatoire mannequin belge de 21 ans. La Discrète, c'est sa mère, Maïté. Le Milliardaire, c'est Arnaud Lagardère. On parle bien du capitaine d'industrie aux 150 000 salariés : un mammouth de l'édition, un mogul des médias ( Elle , Europe 1, Paris Match entre autres perlouses) et un cador de l'aéronautique avec EADS.

Jade et Nono patineurs

Oui, Lagardère a remis ça. En juillet 2011 déjà, une vidéo de trois minutes à peine, réalisée dans le cadre d'une interview par un journal belge, dévoilait au monde le couple Arnaud-Jade, leurs incessants bisous, leurs tenues coordonnées façon patineurs artistiques. Et c'est tout le groupe Lagardère qui vacillait de honte tandis que le monde des décideurs s'interrogeait sur les capacités de cet Arnaud à la tunique lie de vin et aux poses alanguies à mener son bizness. Mais là, là, là… Là, c'est encore mieux : 26 minutes, sans commentaire sinon, façon Strip-tease, l'œil narquois de la caméra enregistrant l'incroyable soap-opera d'Arnaud et Jade.

Jade et Nono aux urgences

«A L'AIDE ! A L'AIDE !» Une grande tige d'1,80 mètre en décolleté jusque-là lance ses bras en l'air dans un numéro d'actrice digne de l'Actors Studio of Mouscron. S'empare d'un téléphone : «JE SUIS AVEC MON ENFANT ! IL NE BOUGE PLUS ! OUI, JE SUIS AUX URGENCES !» Bon, les dialogues ne sont pas encore très au point. C'est la scène d'ouverture de «La Belle, le Milliardaire et la Discrète», qui voit Jade Foret et Arnaud Lagardère visiter une unité d'urgences pédiatriques sous les flashs des photographes et la belle mimer les premiers secours en réanimant un poupon. Au spectacle du massage cardiaque, Arnaud Lagardère a l'œil qui frise : «Je sens que je vais faire quelques malaises à la maison.» Au vu de la scène, sur les chaînes de montage de l'A380, des ouvriers débrayent.

Jade et Nono font des steaks

Une Porsche noire, galbée comme une déesse. «Quel beau cadeau, mon amour», s'écrie Jade. Lui, modeste, jubile in petto. Petit regret : il n'y a que deux places dans la Porsche, constate-elle, en y entassant sa mère, sa petite sœur et son husky. Cut. Intérieur jour, une cuisine de celles que Valérie Damidot repeint de rouge brillant dans D&Co.; Pantalon de survêtement informe, tee-shirt blanc siglé «Paris», barbe de quatre jours, l'héritier de l'empire Lagardère fait cuire des steaks. Hachés, les steaks. Scène suivante, Arnaud tente d'extirper Jade du canapé où elle est vautrée : «On fait un petit feu de cheminée, chérie ?» Le tycoon devra se démerder seul, sous l'œil de Jade : «T'as de belles petites fesses. Elles sont qu'à moi.» A ces mots, à Paris Match, Agathe Godard décide de plaquer sa rubrique «La vie parisienne» pour entrer dans les ordres.

Jade et Nono à la piscine

«Mon papa est séparé de ma maman», explose Jade quand une journaliste de Gala lui demande ce que pense son père de sa relation avec Lagardère de trente ans son aîné. De grosses larmes coulent sur les joues de l'enfant que sa mère vient éponger. Elle est de chaque plan, Maïté, un œil sur sa fille, l'autre sur Lagardère, «Tonton Nono», comme elle l'appelle. Et c'est sous la houlette de la duègne Maïté que Nono déclame à Gala son compliment qui vaut contrat : «Mon attachement profond, sincère, passionnel pour Jade ne tient pas, vous allez rigoler, à la forme mais au fond.» Shooting, encore : sur un banc où Jade est allongée dans les bras de Nono ( «Tu lui aplatis les seins», gronde la mère), au bord d'une piscine d'où Jade jaillit habillée et trempée jetant un regard super pénétrant à Nono qui lui tend une serviette. A Europe 1, Jean-Marc Morandini détourne les yeux, choqué.

Jade et Nono se tatouent

Et les instantanés se succèdent. Dans la loge Lagardère au Stade de France, bisou-bisou. Dans la salle de gym où ils s'activent au son de Nirvana. Dans le jet privé, au haras, à l'office où le cuisinier prépare un petit frichti de coquilles Saint-Jacques. A chaque scène, Maïté collant autant à sa fille que la canette de Coca-Light à Nono. Maïté donne son avis sur les commentaires fleuris qui accompagnent Jade sur Internet, tel ce «le pétrole volé au peuple libyen martyrisé te sert à toi et à ton enculé de fiancé». Des «jaloux», selon Maïté. Nono fait une autre analyse : «Ça peut être aussi des…, comment on appelle ça, des altermondialistes.» Maïté négocie façon maquignonne un rôle pour sa fille au cinéma (on parle de Tim Burton, de Marion Cotillard…), mais pas question qu'elle campe une prostituée, ça non. Nono, docte : «C'est Jade qui décidera, je ne me substitue pas à elle, c'est simplement mon opinion qui est aussi la sienne.» Shooting, Jade et Nono comparent leurs tatouages (un glaive fiché dans un cœur pour les deux, mais avec des ailes pour elle), nouveau shooting, avec Nono encore, à qui le coiffeur taille les sourcils. L'habilleur lui a trouvé un pantalon confortable, «du techno stretch». Confortable, mais moulant, trop moulant, relève Maïté, le regard en coin. «Ça se voit», bredouille-t-elle. Nono finit par comprendre et se récrie : «Je ne vais pas me la couper !» Et de préciser : «J'ai mis un slip, pourtant.» Au magazine Elle, la rédaction en pleine crise d'hyperventilation tente de respirer, la tête plongée dans un it-bag Prada.

Paru dans Libération du 17 novembre 2012

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