À l’E3, l’industrie a la tête dans le cloud

par Olivier Seguret
publié le 8 juin 2012 à 11h47

«One up !» comme on dit en langue Mario : une vie de plus pour l'Electronic Entertainment Expo (E3), qui a fermé les portes de sa 18e édition cette nuit à Los Angeles. Mais une édition pour quoi faire ? Malgré sa relative jeunesse, et malgré l'extrême frivolité dont on l'accuse, l'E3, le plus grand rendez-vous mondial de l'industrie du jeu vidéo, n'a pu éviter les questions existentielles. Elles tiennent à la période de transition dans laquelle se trouve cette industrie, qui a toujours connu des cycles d'évolution rapides, mais sans doute jamais aussi importants que le grand chambardement qui s'annonce.

Pendant les trois jours de foire commerciale, médiatique et professionnelle qui viennent de s'écouler, les constructeurs de consoles et les plus gros studios de développement ont attiré l'attention sur les dernières cartouches qu'ils s'apprêtent à tirer dans un paysage qui bouge encore plus vite que leurs cibles. Tout le secteur a en effet la tête ailleurs : dans la next gen , la prochaine génération de consoles.

«The Last of Us» : Produit par Naughty Dog («Uncharted»), ce titre encore mystérieux place un père et sa fille en situation de survie dans un monde post-apocalyptique. On lui prête déjà le pouvoir de renouveler le survival horror, mais pas avant l'an prochain.

De surcroît, cette sphère des consoliers et des gamers confirmés qui forme le cœur de l'E3 et qui fut longtemps la locomotive de tout le business des jeux, ne se trouve plus au centre du système, ou se voit du moins contesté dans son rôle hégémonique. Sa plus forte croissance, l'industrie la constate dans les jeux mobiles, pour smartphones et tablettes, et dans les jeux dits sociaux, qui pullulent sur les réseaux éponymes. Dans le top 10 des applis payantes sur iTunes, cinq sont des jeux. La licence Angry Birds a été téléchargée plus d'un milliard de fois . CityVille agrège des dizaines de millions de joueurs chaque jour sur Facebook…

Est-il seulement possible de lutter contre un tel phénomène, qui brise le modèle économique traditionnel ? Ces jeux, qui ne nécessitent pas d’investir dans une console, sont en effet souvent gratuits ou peu onéreux, leur rentabilité se faisant grâce à la publicité ou au micro-paiement (la dépense moyenne dans ce monde dématérialisé est estimée à 5 euros, quand le prix d’un jeu «physique» s’établit autour de 50 euros). Plus embêtant, les filières créatives sont détraquées : les jeux sous appli répondent à des contraintes budgétaires très différentes, qui ont tendance à niveler les standards vers un gameplay consensuel, et ils sont conçus dans l’objectif d’une addiction la plus durable et complète.

C'est l'un des titres phare d'Ubisoft pour le lancement de la Wii U , fin 2012. Gore et fun, «Zombi U» titre profit du gamepad associé à la nouvelle console et dont l'écran scanne l'environnement pour y trouver des objets invisibles sur celui de la télé.

Smart Glass

L’industrie dite traditionnelle continue pourtant de faire l’essentiel du chiffre d’affaires du secteur. Sur un milliard d’euros dépensés par les consommateurs, on estime à environ deux tiers la part qui lui revient encore. Cela lui laisse donc un peu de temps pour préparer le coup suivant, celui dont il ne fut pas expressément question à l’E3 mais qui occupait les esprits. Pour cette raison, les conférences des trois grands Nintendo, Microsoft et Sony ont suscité plus de tiédeur et de perplexité que d’enthousiasme.

Diffusées en direct sur le Web, elles ont été commentées dans toutes les langues sous l’angle principal de la déception. Microsoft a fait porter l’essentiel de son message sur les nouvelles applications promises par le programme Smart Glass, qui vient s’ajouter aux logiciels de sa Xbox et des smartphones ou tablettes sous Windows, afin de rendre toutes ces plateformes interconnectées d’une façon bien plus sophistiquée.

Microsoft a décroché l'exclusivité du dessin animé «South Park» pour sa XBox. Parker et Stone, cocréateurs, ont présenté le trailer de ce jeu de rôle très spécial, développé par Obsidian pour THQ. Mais il faudra attendre 2013 pour jouer à South Park.

Chez Nintendo, qui devait dévoiler le meilleur de sa nouvelle console Wii U programmée pour cette fin d'année, la surprise est venue de la maigre consistance du menu : très peu de nouveaux jeux ont été annoncés et peu d'informations confirmées. On a appris que la Wii U pouvait accueillir deux tablettes-manettes, qu'elle aurait son propre «classic controler» et serait compatible avec les manettes de la Wii, mais on ignore son prix et sa date de lancement.

Évasif

Sony est peut-être celui qui a le mieux répondu à l'attente des gamers et à leur faim de nouveautés mais est resté aussi évasif que ses concurrents sur sa stratégie profonde, en plein bouleversement. Plus surprenant, pendant sa conférence, le japonais a fait peu de cas de sa nouvelle console portable, la PS Vita , mal en point commercialement.

Sony a-t-il trouvé, avec le «Wonderbook», la «killer application» pour son système de reconnaissance de mouvements Move? Le jeu, signé avec J.K. Rowling, promet un «univers du merveilleux» familial et disneyen, à grand renfort de réalité augmentée.

Sony et Microsoft n'en font presque plus mystère : ils pensent déjà à l'an prochain. En 2013, ils seront prêts à présenter la machine qui incarnera la nouvelle étape, et espèrent-ils, le nouveau leadership, de leur industrie. Leurs noms de code sont «Orbis» pour la PlayStation 4 et «Durango» pour la nouvelle Xbox. Mais ce ne seront plus de strictes machines à jouer. Il s'agit dans les deux cas de se transmuter en plateformes de services. Ce que l'un et l'autre préparent, c'est une constellation de services dans le cloud («nuage» de serveurs informatiques à distance) dont le gaming ne sera qu'une division.

Mais alors, et les jeux ? Paradoxe : les constructeurs sont sur le point de tourner la page au moment où leurs consoles voient poindre les titres les plus aboutis de cette génération, puisque les game designers en maîtrisent mieux que jamais les arcanes. À l'E3, les grands studios, qui ont eux aussi commencé à travailler sur l'étape suivante, ont présenté leurs meilleurs candidats pour les derniers feux de l'actuelle.

Dans un Chicago réaliste, le joueur sabote la ville grâce aux dernières technologies numériques et pirates. Certains ont vu dans «Watch Dogs» un jeu next gen. Ubisoft a confirmé qu'il sortira sur les consoles actuelles dans date précise.

Plutôt que les trop prévisibles suites ou nouvelles itérations de vieux standards, certains excellents ( Halo 4, Far Cry 3, Black Ops II ou New Super Mario Bros. U… ), nous avons préféré illustrer ces pages avec des titres nouveaux, prélevés dans cet E3, et qui devraient conquérir les consoles dans les dix-huit prochains mois. Des titres qui, espère-t-on, démentiront le reproche qui s'élève parmi les gamers et les développeurs : le rabâchage éternel des mêmes licences, le manque d'innovation, de risque et de créativité. Bref: de la chair fraîche!

Paru dans Libération du 8 juin 2012

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