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Critique

A la recherche du temps gagné

Adaptation mélancolique d'un classique de la science-fiction japonaise.
par Didier Péron
publié le 4 juillet 2007 à 8h39

Précédé d'une avantageuse réputation, bardé de tous les prix remportés aux rituels Tokyo Anime Award, la Traversée du temps est le nouveau film de Mamoru Hosoda que les aficionados du manga animé connaissent pour avoir signé Galaxy Express 999 ou Digimon au sein des studios de la Toeï animation. Il quitte cette vénérable institution pour rejoindre l'équipe du studio Ghibli autour de Hayao Miyazaki pour y mener l'adaptation du roman de Diana Wynne Jones, Howl's moving castle (le Château ambulant). C'était la première fois que Ghibli allait ainsi chercher quelqu'un de l'extérieur pour lui confier illico les manettes d'un long métrage. Mais l'expérience s'est soldée par un échec et l'impitoyable Miyazaki décida finalement de réaliser le film lui-même.

Karaoké. Après cette expérience qui dut être quelque peu amère mais qui lui vaut néanmoins une réputation d'excellence, Mamoru Hosoda a rejoint l'équipe du studio Madhouse (Metropolis de Rintaro, Perfect Blue de Satoshi Kon...). C'est là qu'il peut enfin s'entourer d'une équipe de son choix et mettre en chantier l'adaptation d'un classique de la littérature moderne nippone de Yasutaka Tsutsui, Paprika. L'histoire tourne autour d'une adolescente de Tokyo, Makoto Konno, qui découvre qu'elle a soudain la capacité de se mouvoir dans le temps à sa guise. Elle peut ainsi tricher en cours où elle repasse deux fois les interrogations écrites, rester dix heures d'affilée au karaoké, remonter au dîner de la veille pour échapper à celui du jour qui ne lui plaît pas, etc...Mais ces sottises amusantes vont bientôt la conduire à jouer de son don pour des péripéties plus graves engageant la vie même de ses camarades.

Paru en 1965, la Traversée du temps (qui reparaît en France aux éditions l'Ecole des loisirs dans la traduction de Jean-Christian Bouvier) a été de nombreuses fois adaptées au Japon avec pas moins de cinq séries télé et deux longs métrages (1983 et 1997). Pas aussi célèbre en France que dans son pays d'origine, Yasutaka Tsutsui est considéré comme l'initiateur de la méta-fiction nippone dans la lignée de John Fowles ou Italo Calvino. Le récit de la Traversée du temps est surtout proche des textes de science-fiction d'un Kurt Vonnegut et le dessin animé de Mamoru Hosoda a de nombreux points communs avec le film américain de Richard Kelly Donnie Darko, qui était déjà une relecture de Vonnegut.

Profondeur. Le style du film superpose à des décors ultraréalistes (d'après des prises de vues dans différents lieux de Tokyo) des personnages crayonnés plus proches de l'univers manga. Souvent, la virtuosité technique des dessins animés est lassante car ni les scénarios ni les protagonistes des récits ne sont véritablement fouillés au-delà du spectacle purement formel. Or, et c'est sans doute une des principales qualités qui avaient attiré les gens de Ghibli, Mamoru Hosada veut par sa mise en scène et l'écriture des séquences, la manière dont les personnages se comportent, ressentent le temps qui passe et se disloque, donner profondeur et gravité. Les références implicites du cinéaste semblent plutôt lorgner vers le Gus Van Sant d'Elephant (auquel il rend un hommage oblique en demandant à son compositeur de pasticher le thème au piano d'Arvo Pärt) que les Pokémon ou même l'énergie vide de nombreuses sciences-fictions nippones. Un dessin animé traversé par la mélancolie, le calme inquiétant de couloirs de lycée vide, la répétition du quotidien qui se heurte à cette phrase mystérieuse écrite sur un tableau noir : «Le temps n'attend personne.»

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