ACTA : le gouvernement français reste muet, l'Europe se rebelle

par Alexandre Hervaud
publié le 19 mars 2010 à 16h23

Novembre 2008. Un article publié sur ce même site, titré Libertés et vie privée : Acta, la menace fantôme , pointait le manque absolu de transparence entourant cet obscur Anti-Counterfeiting Trade Agreement (comprendre Accord commercial anti-contrefaçon). Depuis 2007, à l'initiative des Etats-Unis, cet accord est négocié dans le plus grand secret par de nombreuses nations, comme l'Australie, le Japon, le Canada et les 27 pays membres de l'Union Européenne. Et le problème, c'est qu'en dehors de fuites plus ou moins fiables publiées sur le Net, notamment via le site Wikileaks , le citoyen lambda (et ses représentants politiques, comme les députés européens) n'a officiellement aucune connaissance du contenu de l'ACTA. Le plus déprimant dans la lecture de l'article cité plus tôt est qu'en plus d'un an et demi, les choses ne semblent guère avoir avancé en matière d'ouverture, et ce malgré les actions des associations, activistes ou simples citoyens désireux d'en savoir plus sur cette énième texte de défense de la propriété intellectuelle.

C'est la raison pour laquelle Act Up , l'April (association de promotion et de défense du logiciel libre) et la Quadrature du Net ont publié hier, pour la première fois, un communiqué en commun interpellant les pouvoirs publics sur ce silence gênant. Des représentants des trois associations ont rencontré hier à Bercy des membres de la DGTPE (direction générale du trésor et de la politique économique), qui dépend du Ministère de l'Economie. A cette occasion, ils présentaient dans le communiqué trois questions dont ils espéraient obtenir quelques éléments de réponse. Autant tuer le suspense tout de suite, la récolte d'information a été maigre, voire inexistante.

Ces trois questions, les voici :

«_ - La France compte-t-elle cautionner un accord qui fera peser une responsabilité accrue sur les intermédiaires techniques de l'Internet pour la transmission et le stockage d'œuvres par leurs utilisateurs ?

_ - La France acceptera-t-elle un accord qui entravera la recherche, bloquera la production ou la circulation des génériques et renforcera le pouvoir accordé aux douanes, autorisant la saisie de médicaments à destination des pays en développement dans le pays où ils sont en transit et brevetés ?

_ - La France compte-t-elle accepter de généraliser, en durcissant leur protection juridique, les DRM, ces menottes numériques entravant la concurrence, l'interopérabilité et le développement du logiciel libre, alors que l'on attend toujours l'étude d'impact de la loi DADVSI ?»

Joint par téléphone ce matin, Frédéric Couchet, délégué général de l'April, ne cache pas déception. «On a vraiment eu l'impression d'être pris pour des charlots, des bizuts incapables de lire des textes de loi. Alors qu'au contraire, on ne demande qu'à pouvoir contribuer au débat» . Or, sans grande surprise, la demande légitime de pouvoir accéder au texte de l'ACTA n'a pour l'instant pas été acceptée, d'où l'impression assez ubuesque d'un serpent qui se mord la queue : aux critiques des associations sur le potentiel contenu de l'Accord, leurs interlocuteurs de la DGTPE ont continuellement botté en touche en signalant que les inquiétudes sont basées sur des fuites de documents de travail , potentiellement obsolètes voire faux. D'où l'impossibilité d'avoir une discussion constructive alors que les prochaines négociations de l'ACTA se dérouleront en avril, en Nouvelle Zélande.

Chargé du traitement interministériel des dossiers européens, c'est le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) qui assurera la synthèse des doléances des différents ministères concernés (Culture, Justice, Affaires Etrangères...) pour déterminer la position officielle de la France vis à vis de l'ACTA. Une position toujours indéterminée, ce que souligne un nouveau communiqué commun publié aujourd'hui par Act-Up, l'April et la Quadrature du Net. Le texte invite François Fillon à «définir publiquement les "red lines", ces limites que la France refusera de franchir lors des négociations.» .

Seule nouvelle plutôt réjouissante liée au dossier : la fronde, il y a un peu plus d'une semaine, des députés du Parlement Européen, pas vraiment jouasses d'être pris pour des trompettes en étant tenus à l'écart des négociations. Par 633 voix contre 13, les eurodéputés ont adoptés une résolution demandant la transparence de la Commission européenne sur le dossier ACTA. La séance, plutôt houleuse, est racontée en détail par nos confrères du Point , et la résolution est lisible sur le site du Parlement . On peut y lire : «s'il n'est pas informé immédiatement et intégralement à tous les stades des négociations, le Parlement se réserve le droit de prendre les mesures appropriées, y compris d'intenter une action auprès de la Cour de justice afin de défendre ses prérogatives» . Plus corrosif encore, ce point de la résolution : «considérant qu'en conséquence de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il devra donner son accord sur le contenu de l'ACTA avant l'entrée en vigueur de ce dernier dans l'Union européenne» . Traduction : depuis décembre et l'entrée en vigueur du traité, les élus du Parlement ont un droit de veto sur les accords internationaux, d'ailleurs exercé en février pour la première fois. Malgré le mystère qui l'entoure, l'ACTA n'est donc pas intouchable.

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