AEF: des plaies et des boss

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 31 mars 2011 à 14h11

Œil pour œil : la plainte d'Ockrent

Des mois de haine recuite, forcément, ça explose un jour. Pour Christine Ockrent, c'était lundi quand elle a déposé plainte contre X pour «harcèlement moral». Qui est X ? Il n'est jamais nommé au fil des 25 pages de la plainte mais décrit comme celui «qui n'a de cesse d'orchestrer une véritable politique d'ostracisme» . X, c'est Alain de Pouzilhac, le patron de l'Audiovisuel extérieur de la France (l'AEF, qui regroupe France 24, RFI et TV5) et d'Ockrent. «Ça fait plus de quatre mois que je suis tenue à l'écart de tous les dossiers , dit-elle à Libération , cet ostracisme est insupportable et inacceptable ; il était temps de faire valoir mes droits.»

Depuis l'affaire d'espionnage (lire ci-dessous), Ockrent a essuyé une motion de défiance des salariés de France 24 et un boycott de la direction qui refuse tout bonnement de participer à la moindre réunion en présence d'Ockrent, toujours (grassement) salariée de l'AEF. Il a même fallu une intervention au plus haut sommet de l'Etat pour qu'elle assiste à un conseil d'administration. Lundi, dans un communiqué signé non pas par Pouzilhac mais par l'AEF, Monsieur X s'est défendu de tout harcèlement. La motion de défiance et le boycott ? «Sans aucune animosité et dans le respect de la personne.» Et l'AEF de s'indigner que «la démarche individuelle» d'Ockrent «ne peut que porter atteinte à l'image du groupe et aux intérêts des salariés» . Ce même groupe, l'AEF hein, dont Ockrent est numéro 2. C'est confirmé : on est bien chez les frappadingues.

Dent pour dent : l'enquête de Pouzilhac

Entre le VRP à l'enthousiasme survitaminé et la journaliste aux réseaux arachnéens (arrivée à ce poste pile au moment où son compagnon Bernard Kouchner était ministre des Affaires étrangères -- what a surprise ), les moutons sont bien gardés. Et puis, indiquait Ockrent au Monde, «cet attelage a déraillé» . Version Poupou : alors qu'il est occupé au plan social de RFI, Ockrent, à France 24, fait tourner la planche à billets et embauche à tour de bras. Version la Reine : «M. de Pouzilhac considère que France 24 est sa chose.» La «Saint-Barthelémy» -- l'expression est d'un salarié -- démarre en août, à France 24 : Ockrent vire le directeur de la rédaction Albert Ripamonti, aussitôt réintégré par Pouzilhac qui, en retour, vire Vincent Giret (aujourd'hui à Libération ). Peu à peu, les têtes ockrentiennes tombent. Et l'affaire vire au mauvais polar : une fuite sur «l'impasse budgétaire» de France 24 dans le Canard enchaîné trouverait son origine dans une intrusion sur les ordinateurs de l'AEF. Pouzilhac porte plainte, diligente une officine privée qui désigne Candice Marchal, une collaboratrice d'Ockrent.

Conclusions dont la presse est généreusement arrosée. Depuis, l’enquête -- de police, celle-là --, suite à la plainte de l’AEF, a été clôturée sans qu’Ockrent soit entendue ce qui, pour elle, vaut innocence. Mais le procureur souhaite attendre le résultat d’une autre plainte, celle déposée par Candice Marchal qui soupçonne que son disque dur a été bidouillé.

Corps à corps : deux têtes sur le billot

Un tango meurtrier entre Pouzilhac et Ockrent, où chacun a juré qu’il ne sauterait pas sans avoir la peau de l’autre… C’est dans cette joyeuse ambiance que vit l’AEF et que s’est tenu, hier, le comité extraordinaire zéro, soit la rampe de lancement de la fusion entre France 24 et RFI. Celle-ci prévoit le rapprochement des deux antennes, y compris géographique, et… un plan de départs volontaires touchant 122 personnes. Une fusion décriée aussi bien au niveau syndical que politique puisque le PS, par la voix de Patrick Bloche, a récemment dit qu’il est urgent d’attendre. Attendre quoi ? Que ce merdier velu ait subi une légère épilation. Il y a d’un côté la mission d’information parlementaire qui planche sur l’AEF et qui devrait rendre ses conclusions en juillet, mais n’entend pas se faire refiler la question à 1 000 euros : qui dégager ? Ockrent, Pouzilhac, ou les deux ?

Surtout, il y a une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) diligentée par Matignon au début du mois. Son point de départ : une rallonge budgétaire demandée par Pouzilhac dépassant allégrement les 10 millions d'euros pour trois ans, soit totalement en dehors des clous de ce qui était prévu avec l'État. Résultat : ire de Fillon et enquête de l'IGF. À Matignon comme à l'Élysée, on en attend le résultat pour voir «d'où vient le dérapage budgétaire qui a mis le feu aux poudres» et prendre une décision. Pour l'instant, «aucun plan de sortie n'a été envisagé tant qu'on ne sait pas ce qu'il y a sous le capot» . Premier état des lieux de l'IGF fin avril, conclusion définitive en juin. La guillotine suivra.

Paru dans Libération du 30 mars 2011

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