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Libération

Acta: la possibilité d'un rejet

par Sophian Fanen
publié le 27 mars 2012 à 18h07
(mis à jour le 28 mars 2012 à 12h22)

Opération déminage autour du Traité international de lutte contre la contrefaçon (Acta). Invité lundi soir pour un débat à Science Po Paris, Pedro Velasco Martins, chef adjoint de l'unité Propriété Intellectuelle à la commission chargée du Commerce et l'un des principaux négociateurs du traité (ici en PDF ) au nom de la Commission européenne, a rencontré la presse ce mardi pour tenter de calmer le feu médiatique monté ces derniers mois en Europe contre certaines dispositions d'Acta accusées de menacer les libertés publiques.

Un texte qui est devenu ces dernières semaines l'enjeu d'une bataille politique entre la Commission et le Parlement européen. La première avait récemment annoncé son intention de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), chargée de dire si le texte d'Acta est notamment conforme à la Charte des droits fondamentaux ( PDF de l'UE adoptée en 2000. Une manœuvre considérée comme politique par plusieurs eurodéputés, qui y voyaient une façon pour la Commission de botter en touche face au mécontentement soulevé par le traité à travers l'Union, et de renvoyer le débat à 2013, l'analyse de la CJUE devant durer au moins 18 mois.

Cet après-midi, la commission du Commerce international (Inta) du Parlement européen, qui est la commission de référence sur Acta, a tout remis à plat et adressé un camouflet à la Commission en rejetant (par 21 voix contre 5) la saisine de la CJUE. Les travaux du Parlement européen sur le traité vont donc pouvoir suivre leur cours selon le calendrier prévu: vote de la commission Inta fin mai, puis vote du Parlement européen entre le 12 et le 14 juin. Un vote négatif marquerait la mort pure et simple d'Acta dans l'UE (le texte restant applicable en dehors si six pays signataires le ratifient).

Mise à jour, mercredi 28 à 12h15: Le vote de la commission Inta du Parlement européen ne remet pas en cause la saisine de la CJUE annoncée par la Commission européenne, qui devrait être déposée d'ici six semaines. Une saisine qui pourrait toutefois être éteinte si le Parlement vote contre le texte d'Acta...

En parallèle, les Parlements nationaux doivent également poursuivre leurs travaux de ratification... Enfin, dans les pays où ce processus n'a pas déjà été bloqué: douze pays européens ont à ce jour suspendu leurs discussions en considérant entre autres qu'ils n'ont pas assez d'informations sur la portée réelle du texte.

Dans ce climat de défiance, Pedro Velasco Martins a commencé aujourd'hui par justifier le processus de négociation du texte, dénoncé comme opaque, dont les diverses étapes n'ont été rendues publiques entre 2008 et 2010 que via des documents confidentiels publiés notamment par Wikileaks . «Ce traité est un accord de commerce, a expliqué Pedro Velasco Martins, et les négociations internationales sur le commerce ne sont traditionnellement pas publiques, car elles impliquent des négociations qui ont des impacts importants. Acta a commencé comme ça. Il n'a pas été présenté au public parce que nous n'avons pas l'habitude de le faire pour ce genre de textes. Mais la première réunion publique ( PDF ) a eu lieu en 2008. Selon moi, dire qu'Acta est un "traité secret" est donc un cliché.»

Pedro Velasco Martins a ensuite savamment bordé la portée du traité signé le 26 janvier dernier à Tokyo par l'UE et 22 des 27 Etats européens, en compagnie des Etats-Unis, du Japon, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie, de Singapour, de la Corée du Sud, du Maroc, du Mexique et de la Suisse. «Cet accord n'est pas destiné à changer quoi que ce soit dans la législation européenne ou dans la législation des Etats membres , a-t-il dit. La législation européenne sur la propriété intellectuelle est bien établie aujourd'hui et nous assure une protection d'un assez haut standard. Ce qui n'est pas le cas au niveau international: Acta a donc été négocié pour protéger les droits des pays signataires dans les pays tiers et améliorer les standards internationaux.»

«Il n'y aura donc pas de conséquences pour les consommateurs européens, affirme Pedro Velasco Martins au nom de la Commission européenne, mais par contre les dispositions du texte seront d'une très grande utilité pour les créateurs et artisans.»

Même déminage au sujet de l'article 27, qui regroupe les dispositions concernant la lutte contre la contrefaçon sur Internet (« Enforcement in the digital environment »). Un article peu précis, qui laisse possibles des interprétations potentiellement néfastes à la libre circulation des œuvres et des idées en ligne au seul profit de la lutte pour le respect du droit d'auteur, d'après les détracteurs du traité.

«Dans ce domaine, les règles d'Acta sont des principes de bases qui vont moins loin que les lois en vigueur dans l'UE, aux Etats-Unis ou en France, a estimé Pedro Velasco Martins. Il s'agit de principe très généraux, et le point 27 précise à plusieurs reprises qu'Acta renvoie aux législations nationales. Il s'agit davantage de donner des principes d'orientation à des pays qui n'ont pas de cadre contre la contrefaçon sur Internet. Il n'y a aucune obligation, et le texte d'Acta ne dépasse jamais les dispositions de la directive européenne de 2000 sur l'e-commerce.»

Une vision martelée par la Commission, que ne partage pas la Quadrature du Net, organisation citoyenne de défense des libertés en ligne, en pointe depuis plusieurs années dans la lutte contre le traité Acta. «La Commission est actuellement en train d'essayer de sauver les meubles et fait tout ce qu'elle peut pour replacer le débat sur le terrain juridique alors qu'Acta est devenu politique tant les conséquences de son interprétation font peur, affirme Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de la Quadrature. Sauf que plusieurs études montrent que le texte du traité, tel qu'il est rédigé, va plus loin que l'acquis communautaire.»

«Quant au point 27, il explique ne pas créer de nouveau cadre légal mais demande notamment une coopération entre les ayants droit et les fournisseurs d'accès. Ce faisant, il fait basculer la défense du droit d'auteur dans l'extra-judiciaire. Acta donne des moyens au privé pour défendre le droit d'auteur sans passer par la justice, c'est-à-dire obtenir la fermeture de sites, la surveillance des internautes ou l'effacement de données. Le texte est hypocrite: il dit “on ne change pas les lois nationales”, mais il passe au-dessus.»

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