«Acte II de l’exception culturelle» : le décor est planté

par Sophian Fanen
publié le 23 mai 2012 à 19h15
(mis à jour le 23 mai 2012 à 20h18)

Annoncé hier dans Le Monde de «source gouvernementale» , ni confirmé ni infirmé depuis par le ministère de la Culture, Pierre Lescure prendra bien la tête d'une commission chargée de préparer «l'acte II de l'exception culturelle» annoncée en long et en large lors de la campagne de François Hollande. Sa nomination devrait être officialisée dans une petite semaine.

Le processus de concertation qu'il chapeautera reste encore à préciser, mais dépassera selon nos informations le simple cadre d'Hadopi en intégrant l'ensemble des dossiers du numérique et de la culture à l'ère connectée. En vrac: offre légale, copie privée, financement de la création, chronologie des médias, accès à la culture, télévision connectée, défense de la diversité artistique, lutte contre la concentration, naissance d'un portail public regroupant les vidéos de l'INA ou le catalogue de la Cinémathèque française... C'est tout le paysage de la culture et de l'audiovisuel qui doit être à terme mis à jour pour rejoindre les pratiques des internautes-consommateurs, mais aussi afin de le préparer à des confrontations internationales qui seront violentes (par exemple sur la vidéo à la demande, le streaming musical ou la gestion des droits d'auteurs). Si la promesse est tenue, et après un long processus qui doit aboutir devant le Parlement fin 2013, c'est un nouveau cadre légal et commercial qui va naître.

Difficile ensuite d'analyser la nomination de Pierre Lescure, personnage de l'ère Canal+ avant d'être une voix audible du débat sur la culture à l'ère numérique, actuel directeur du beau théâtre Marigny à Paris (où il fait parfois venir des chanteurs rares par réel amour de la musique) et dans le même temps animateur d'une radio de campagne éphémère pour François Hollande. Avec lui, c'est un proche du président de la République qui sera chargé de mener à bien l'un des plus gros chantiers du quinquennat. Même si l'on répète depuis deux jours que c'est le ministère de la Culture qui est en charge du dossier, l'Elysée ne sera jamais bien loin.

Quel avenir pour l'Hadopi?

«Ce n'est pas un bon symbole pour mener une réforme aussi importante» , estime Juan Branco, joint par à Ecrans.fr. Ce dernier, désormais écarté, a travaillé avec Aurélie Filippetti pendant toute la campagne présidentielle et a représenté dans l'équipe de la future ministre un courant plutôt volontariste, qui a poussé les idées de contribution créative et d'abrogation pure et simple d'Hadopi aussi loin qu'il a été possible. On l'a vu au fil des mois, cette ligne a peu à peu perdu du terrain au profit d'une vision plus consensuelle, plus acceptable aussi par ceux qui seront parmi les interlocuteurs fortement médiatisés de la concertation à 360 degrés qui va s'ouvrir: les représentants des créateurs, du droit d'auteur et des industries du divertissement.

Dans un document de travail du pôle culture de la campagne de François Hollande, daté de la fin du mois de mars et qu'Ecrans.fr s'est procuré, il est encore fait mention de l' «abrogation d'Hadopi» comme d'un point de départ du cheminement législatif qui doit construire «l'acte deux de l'exception culturelle» , puis d'une «contribution créative» parmi les objectifs possibles. Ces deux points, les plus forts politiquement, ne font plus partie du discours officiel aujourd'hui. Il faudra d'ailleurs à la ministre régler dans les prochaines semaines la question d'Hadopi. La Haute autorité doit-elle continuer à fonctionner, à envoyer des mails et à déposer des dossiers devant la justice, ce qui coûte quelque 13 millions d'euros par an? Marie-Françoise Marais, sa présidente, a d'ores et déjà affirmé dans la lettre professionnelle Edition Multimédi@ que sa démission n'était pas à l'ordre du jour.

Aurélie Filippetti à l'Assemblée nationale, en 2007 - Photo REUTERS/Benoit Tessier

«Éviter les patates chaudes»

Pour Juan Branco, choisir Pierre Lescure, acteur des négociations avec le monde du cinéma qui ont mené à la naissance de Canal+ en échange d'un financement du cinéma français au début des années 1980, «est le symbole d'un glissement: l'acte deux de l'exception culturelle que nous avons défendu est réduit au financement de la création.»

Au ministère aujourd'hui, on relativise la place qu'a eu le conseiller de la ministre et on assure qu'il n'y a «aucune inflexion de la position d'Aurélie Filippetti depuis qu'elle est passée de députée à ministre.» Quant à la concertation future, le ministère ne souhaite pas lui imposer de ligne politique, si ce n'est l'impératif de ne plus opposer les artistes et les internautes comme cela a été fait pendant la présidence de Nicolas Sarkozy. Il faudra bien toutefois, vu le gigantisme des dossiers entremêlés qui devront également faire leur preuve devant les institutions européennes, tenir un cap afin de ne pas aboutir à une réforme molle.

«J'ai compris que, dans la dernière phase de la campagne, Aurélie Filippetti se soit moins exposée afin de ne pas compromettre ses chances d'être ministre , continue Juan Branco. Seulement je crains que cette attitude ne se reproduise pour éviter les patates chaudes.»

Les mois à venir diront si la ministre est prête à défendre les idées qu'elle a maintenues depuis la bataille législative contre Hadopi et répétées encore cette semaine. «Comme beaucoup d'internautes , disait-elle à l'Assemblée nationale le 4 mai 2009, j'avoue avoir bien du mal à comprendre comment la loi pourra réellement et efficacement préserver et pérenniser la création. Elle n'apporte pas un centime de plus aux auteurs ou aux artistes, que le gouvernement met en avant depuis le début de la discussion. Il n'est même pas démontré qu'elle fera baisser le téléchargement non autorisé. Il s'agit, selon les termes mêmes de Mme la ministre [Christine Albanel, ndlr], d'un simple "pari". Son enjeu ne devrait-il pas être, avant tout, de proposer les moyens d'assurer le financement des investissements nécessaires à la création de contenus culturels, ainsi qu'une juste rémunération des droits d'auteur dans le monde numérique?»

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