«Alt-Minds», pistes sur la Toile

Facebook, YouTube, blogs… Le nouveau jeu d’Eric Viennot transforme le Web en un terrain d’investigation infini.
par Erwan Cario
publié le 26 novembre 2012 à 11h30
(mis à jour le 26 novembre 2012 à 11h57)

Comment en est-on arrivé là ? Cette photo d'une pierre avec des inscriptions peintes en rouge est étrange, mais n'est-on pas allé trop loin ? Sommes-nous encore dans un jeu ? Nous surfons sur le blog d'un jeune Croate du nom de Bojana Petrovica. Sur une de ses galeries photo de randonnée , pour être plus précis. Nous y sommes arrivés à partir du profil Facebook de Jovana Kokochva , une étudiante en philosophie de Belgrade. Celle-ci avait partagé une vidéo postée sur le profil d'Ivinca Milinkovic , lui aussi de Belgrade.

On est tombé sur lui en cherchant son nom dans Google. C'est lui qui a posté sur YouTube, sous sa véritable identité, la vidéo , relayée par Peter Edgarson sur son blog Beyond Known Reality , qui montre des étudiants de la capitale serbe qui tombent étrangement dans les pommes en même temps.

Peter Edgarson, on le connaît bien. On est ami avec lui sur Facebook , on le suit sur Twitter , on a épluché ses écrits jusqu'en mars . Il aide la fondation Alvinson dans la recherche de scientifiques qui ont disparu. Cette dernière avait prévenu les enquêteurs que la vidéo était disponible. A ce stade, nous savons où nous sommes. Nous jouons à Alt-Minds , dernière production du studio Lexis Numérique, une enquête en temps réel qui entremêle série télé, Web et jeu vidéo.

Alt-Minds fait partie de la famille des alternate reality games (ARG, jeux en réalité alternative), ces expériences qui tentent de gommer la frontière entre la réalité et la fiction. C'est ce que nous avons vu de plus abouti dans le genre, même si, à l'heure actuelle, nous n'avons pu jouer qu'au premier chapitre (gratuit), qui s'est déroulé la semaine dernière.

Le jeu est actuellement en pause jusqu’au samedi 1er décembre, date à laquelle il reprendra pour sept nouveaux chapitres d’une semaine (2,70 euros par chapitre, 15 euros pour l’histoire complète). Mais pas d’inquiétude pour les retardataires, il est à tout moment possible de jouer en différé et de rattraper le cours des événements.

Au début d' Alt-Minds , le joueur répond à l'appel lancé par la fondation Alvinson. Celle-ci est sans nouvelle depuis fin juin d'un groupe de cinq chercheurs dont elle finançait les travaux au sein de l'université de Belgrade. Un internaute, Peter Edgarson, leur a transmis en août une vidéo où un jeune homme se fait enlever par des hommes armés à Donetsk, en Ukraine. Il s'agit d'Hisham Nour, l'un des scientifiques. Le manque d'implication de la police ukrainienne pousse la fondation à faire appel à un groupe de détectives, mais aussi aux internautes. Ces derniers seront d'une aide précieuse pour percer ce mystère.

On suit donc l’enquête en temps réel grâce au «dashboard», une interface consultable sur un écran d’ordinateur ou sur une tablette (iOS ou Android). Elle permet de lire les messages de Chloé, qui travaille pour la fondation, et de Claire, la détective à Belgrade, et surtout de consulter et d’analyser toute une série de documents (photos, vidéos) pour venir à bout des missions quotidiennes proposées par la fondation. En effet, une ou deux fois par jour, il va falloir trouver un indice caché dans une vidéo, le nom d’une agence de location de voiture à Belgrade, ou encore la signification de deux initiales. Et la plupart du temps, la vérité est ailleurs, c’est-à-dire sur le Web.

Lexis Numérique a disséminé une somme colossale d’informations sur les réseaux sociaux, sur des blogs, sur des sites créés pour l’occasion et le joueur va devoir les retrouver en utilisant son arme principale : un navigateur. Et on finit par ne plus se contenter des missions, par essayer de démêler ce qui peut l’être parmi tous les noms, les lieux, et les nombreuses pistes qui s’ouvrent à chaque nouveau document. Et de requêtes sur un moteur de recherche en liens hypertextes, on se perd, parfois. D’où la photo de caillou peinturluré sur un blog croate. Les créateurs ont-ils poussé le vice jusqu’à créer cette galerie photo de balade en forêt ? On n’en sait rien. C’est sans grande importance. Alt-Minds a réussi à faire du Web un immense terrain de jeu.

Le joueur, qui n’interagit pas ici avec un avatar numérique mais en tant que lui-même, finit donc par se prendre pour un véritable enquêteur au milieu de ce polar paranormal (tout en sachant très bien qu’il participe à un jeu, n’exagérons rien). On n’a qu’une seule envie : installer sur tout un mur un immense tableau de liège sur lequel épingler des photos reliées entre elles par des petites ficelles de couleur. Et quand on évoque Alt-Minds, on finit même par avoir du mal à en parler en utilisant le lexique de la fiction (scénario, rebondissements, etc.), tant la temporalité et la porosité avec le monde réel brouillent les cartes.

D'autant qu'on est loin d'être seul à vivre cette aventure. C'est aussi une enquête communautaire, et il suffit d'aller sur un des forums consacrés au jeu (sur Altminders.com , ou dans les forums d'Ecrans.fr par exemple) ou sur Facebook pour partager des théories et des suppositions avec les autres participants. Dans un jeu normal, on aurait l'impression de tricher en partant à la recherche d'une solution. Ici, on fait avancer une réflexion collective rendue naturelle par le temps réel. On peut aussi, semble-t-il, se contenter de suivre le déroulement des événements en simple observateur. On n'y croit pas vraiment. Se retrouver pour la première fois au cœur même d'une fiction est une expérience bien trop tentante pour qu'on y résiste longtemps.

Paru dans Libération du 23 novembre 2012

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