Menu
Libération

Amazon et le business dans les nuages

par Fabien Soyez
publié le 23 septembre 2010 à 12h19

«Depuis la création d'Amazon, on avait une plateforme unique, pour nos opérations de vente en ligne, mais pas entièrement utilisée. On a alors réalisé que cette technologie, stable, sécurisée et agile, pouvait servir à d'autres» . Les mots sont de Werner Vogels, le CTO (directeur technique) d'Amazon, en visite à Paris, à l'EPITA. «On vit maintenant dans un monde de données, où vous ne payez que ce que vous utilisez» . Bienvenue dans l'ère du «Cloud Computing» et de la dématérialisation.

Le

, pour faire simple (et le sujet est loin de l'être), c'est «l'informatique dans les nuages», sur Internet. Plus besoin de dépenser une fortune dans l'achat et la maintenance de machines. Désormais, les entreprises peuvent envoyer leurs données dans un «nuage de machines», un réseau d'ordinateurs-serveurs distants, reliés en réseau. Plus besoin de serveur propre. Grâce à cette organisation mutualisée où les machines collaborent, la puissance de calcul disponible est multipliée.

De plus en plus, les géants du Web louent leurs services et leurs gigantesques infrastructures (des data centers qui peuvent abriter plusieurs milliers de serveurs). Parmi les pionniers, Amazon. Lancé en 2006, Amazon Web Services (AWS) propose aux entreprises et aux particuliers de louer ses serveurs pour exécuter des applications ou stocker des données en ligne. Pour le libraire en ligne, même s'il ne pèse que 4% de son chiffre d'affaires , «le Cloud est devenu un excellent business et égale l'activité e-commerce.»

La croissance de AWS est vertigineuse. De 3 milliards d'objets stockés en 2007 dans Amazon S3 (Simple Storage Service), on est passé en 2010 à 150 milliards. «L'avantage du Cloud, c'est que vous êtes facturé à l'usage. En plus de cela, la plateforme est élastique, flexible, avec une capacité de calcul infinie , poursuit Werner Vogels. Jusqu'à l'année dernière, les entreprises envisageaient de migrer sur le nuage, mais elles étaient assez timorées. Aujourd'hui, les directeurs techniques ont pris conscience qu'il fallait prendre le train en marche. Nous avons maintenant des centaines de milliers de clients.»

Nombre d'entreprises, de start-up et de groupes high-tech se sont mis au Cloud computing. Le chiffre d'affaires de l'informatique dématérialisée devrait dépasser les 14 milliards de dollars annuels d'ici à la fin 2013, selon le cabinet Gartner. AWS compte parmi ses principaux clients de grosses entreprises telles que la version online du journal Bild , l'agence de publicité interactive Razorfish, Forbes, mais aussi le NASDAQ et même le gouvernement américain.

«Il y a aussi des éditeurs comme IBM, Microsoft, Red Hat, qui ont porté leurs outils sur AWS» . Même Netflix, leader US de la vidéo à la demande (VOD), principal concurrent d'Amazon outre-atlantique, utilise ses services pour encoder ses films. Toujours prompt à faire la promo de son entreprise, Werner Vogels se targue d'avoir parmi sa clientèle 7 des 10 applications les plus utilisées sur Facebook. «Pet Society, FarmVille, Mafia Wars... Tous ces jeux n'ont pas d'infrastructure physique, et sont sur AWS.»

Autre géant du Web, Google avait lui aussi des outils de stockage en trop, parmi la gigantesque masse de matériel utilisé pour les algorithmes de son moteur de recherche. La firme de Mountain View s'est centrée sur les services, avec App Engine , une plateforme d'hébergement d'applications. Depuis un an, cette plateforme propose aux développeurs un ensemble de services (hébergement, base de données…) pour pouvoir faire tourner leurs applications sur les infrastructures de Google. De leur côté, IBM et Microsoft ont aussi la tête dans les nuages, avec leurs services Cloud respectifs, Smart Business et Azure . Même principe : espaces de stockage et capacités de calcul sont mis à disposition des entreprises sur leurs serveurs.

«Dans le futur, peut être d'ici 10 ans, peu d'entreprises auront encore leurs propres centre de traitement des données. Difficile d'imaginer à quoi le nouveau monde ressemblera, mais ce sera un environnement de partage, sans investissements matériels. Un monde de données» , s'emporte Werner Vogels, doux rêveur. Seule ombre au tableau pour le Cloud computing : les craintes des entreprises. «Dire que le Cloud n'est pas sécurisé, c'est un mythe ! Je comprends que certains aient peur de perdre le contrôle sur leurs données, mais la sécurité est la priorité absolue pour les prestataires de Cloud.»

Pour le CTO d'Amazon, «certains acteurs» tenteraient de faire peur aux entreprises. «Beaucoup essaient de conserver leurs pratiques commerciales : licences chères, qui verrouillent les clients. Ou alors, ils proposent des offres hybrides de cloud privé. Mais ce n'est pas du cloud, ça donne juste l'illusion d'un plus grand contrôle, mais c'est le contraire qui se passe» En vue, la nouvelle application cloud d'Oracle (un client d'Amazon), dédiée aux datawarehouses : Exalogic . «Le danger est qu'Oracle, qui vend des outils, risque d'être tenté d'utiliser les siens et pas d'autres» , lance Werner Vogels. Son entreprise a lancé, l'année dernière, sa propre offre de cloud privé, Virtual Private Cloud . Un réseau local mis à disposition, coupé du reste du nuage d'Amazon. Un «vrai» cloud privé, naturellement...

Autre ombre dans les nuages, les contraintes légales , notamment en Europe. Une directive de 2004 oblige par exemple les entreprises européennes à ne pas faire sortir leurs données d'Europe. «Des aménagements sont possibles !» . Amazon a ainsi adapté son «architecture» en créant des datacenter à Dublin, Amsterdam, Francfort et Londres. «Nos clients européens peuvent préciser la région où ils veulent que leurs données soient localisées dès la création de leur espace de stockage» .

Et c'est là que le directeur technique d'Amazon se fait écolo, peut être depuis que Greenpeace a mis son grain de sel dans le Cloud computing : «Notre principal objectif, c'est que les gens arrêtent d'acheter du matériel.» Et d'ajouter, plein d'enthousiasme corporatiste : «Au siècle dernier, les entreprises voulaient créer leur propre électricité, et ont fini par migrer vers les réseaux électriques. C'est pareil aujourd'hui. Le Cloud, c'est l'avenir.»

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique