Apple corrige Samsung d’un milliard

Le sud-coréen a été condamné, aux Etats-Unis, à une amende record pour avoir violé les brevets de son concurrent.
par Renaud Lecadre
publié le 27 août 2012 à 11h19
(mis à jour le 2 octobre 2012 à 15h17)

Apple-Samsung : 1-0. L'unité de compte est le milliard de dollars, sanction infligée dans la nuit de vendredi à samedi par la justice américaine, le constructeur sud-coréen étant condamné pour violation de brevets. L'amende pourrait atteindre 3 milliards d'ici à fin septembre, la présidente du tribunal californien disposant du pouvoir de tripler, seule et à titre «punitif» , les dommages et intérêts accordés à son concurrent américain par un jury populaire (1).

Sur fond(s) de smartphones et de tablettes, le procès a tenu en haleine la planète numérique pendant trois semaines -- renvoyant à la préhistoire la joute homérique entre Polaroid et Kodak dans les années 80. Apple est incontestablement pionnier en la matière, avec le lancement de l'iPhone puis de l'iPad. Son fondateur, Steve Job, avait alors déposé 200 brevets en vue de protéger ses produits. Mais ses innovations relèvent-elles du saut technologique ou de l'astuce consumériste ? «La législation sur les brevets est manipulée pour donner à un groupe un monopole sur les rectangles avec des coins arrondis» , grinçait la direction de Samsung à l'issue du verdict. Des internautes s'amusent à dénicher l'ancêtre de la tablette Apple dans 2001, l' Odyssée de l'espace , de Stanley Kubrick, voire dans Star Trek .

Ce n'est pas la première passe d'armes entre Apple et Samsung, le coréen virant en tête sur le marché des smartphones, désormais mature, l'américain conservant son avance initiale sur celui des tablettes, plus récent. En Australie, un tribunal avait interdit de vente un produit Samsung, sur plainte d'Apple, avant de faire marche arrière. En Corée du Sud, un autre tribunal vient de renvoyer les deux concurrents dos-à-dos, un match nul synonyme de victoire pour Samsung : «Une entreprise ne peut monopoliser des éléments de design génériques.» Rejouant la rencontre à domicile, Apple a cette fois touché le gros lot. Son avocat a tonné : « Personne n'empêche Samsung de vendre des smartphones, nous leur disons simplement, "faites les vôtres" et rivalisez avec vos propres innovations.» Son contradicteur a répliqué : «Apple cherche à obtenir un avantage concurrentiel au tribunal, il veut interdire à son plus redoutable rival de participer au match.» La présidente a en vain tenté de les raisonner : «Si vous vouliez attirer l'attention sur le fait qu'il y a de la propriété intellectuelle dans ces appareils, le message est passé ; il est temps de faire la paix.»

Début août, un incident a joué contre Samsung : le tribunal lui a vertement reproché d'avoir tenté «d'influencer le jury» en diffusant parallèlement dans la presse une note interne laissant entendre que le coréen planchait sur un projet de smartphone dès 2006, un an avant la sortie de l'iPhone. La présidente a élevé le ton : «Je ne laisserai aucune distraction théâtrale nous détourner de notre tâche.» Puis Apple a publié un étonnant communiqué privilégiant la forme au fond : «Samsung n'était pas autorisé à informer le jury de la totalité de l'histoire et à lui montrer son modèle en développement avant l'iPhone.» Avant de rendre son verdict, le jury californien a semble-t-il fait grand cas d'un mail interne de Samsung, déniché en cours de procédure : «Quand on compare notre interface utilisateur avec l'inattendu concurrent iPhone d'Apple, c'est la différence entre le ciel et la terre, une crise de design !» Du design, toujours du design.

C'est pourquoi le microcosme numérique se régale d'avance du futur combat au sommet : Apple contre Google, un duel entre américains. Si Samsung est essentiellement un ensemblier, c'est Google qui lui fournit son système d'exploitation Android, l'ennemi direct d'iOS, qui fait tourner les produits de la marque à la pomme. Dans son autobiographie, feu Steve Jobs accusait Google d'avoir «volé» Apple, non plus sur l'emballage mais au cœur du moteur. Ses successeurs oseront-ils porter le fer devant un grand jury américain ?

D'autant que Microsoft, géant endormi, est sur le point de se réveiller et de pousser son système d'exploitation. Amazon, éditeur en ligne, continue de faire son trou sur les tablettes (5% du marché). Et Samsung, en plein procès, a commercialisé en grande pompe une tablette avec stylet permettant de transformer l'écriture manuelle en caractères d'imprimerie. «La bataille va être légendaire» , salive le consultant Enderle Group, interrogé par l'AFP, et ce dès la fin de l'année, plus de 100 millions de tablettes devant être commercialisées : «C'est la première fois qu'Apple est confronté à de la concurrence sur tant de fronts.» Et qu'il va devoir se battre davantage sur les prix que sur «l'innovation» .

(1) Les jurés ont été sélectionnés selon leur type de téléphone, éliminant les clients de Samsung ou Apple, puis les profils trop technophiles ont été éliminés.

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