Rappel des faits. Dans une industrie qui passe son temps à prévoir, tout le monde s’est focalisé sur les stratégies concurrentielles des «Big Three» (Microsoft, Sony, Nintendo) et personne n’a vu venir la situation actuelle. Aucun analyste n’imaginait, il y a moins de deux ans, qu’une nouvelle console portable allait perturber le marché et se placer au centre de ses interrogations, que cette console serait aussi un téléphone mobile et que le nouvel empêcheur de jouer en rond s’appellerait Apple. Comme on l’a vu (1), la triomphale opération iPhone a également pris à revers non seulement les fabricants établis tels Nokia, Samsung ou RIM (qui produit le Blackberry), mais aussi les éditeurs de jeux, bien obligés de suivre la tendance imposée par Apple et à ses conditions. Mais, hier, une rumeur folle est venue troubler le milieu. Certains experts de la chose financière (dont on aurait dû apprendre à se méfier) font en effet l’hypothèse d’une prise de contrôle du géant américain des jeux vidéo, Electronic Arts, par la firme à la pomme entamée. Rien de sérieux n’accrédite pour l’instant ce scénario, mais le simple fait qu’il propage ses flammes dans la sphère professionnelle du jeu indique à quel point celle-ci est désorientée. La visibilité, la capacité de prédiction raisonnable sont devenues des denrées si rares que la moindre conjecture provoque panique ou tintamarre. Néanmoins, une chose est sûre : Apple, qui vient de procéder à plusieurs recrutements emblématiques (dont le concepteur du processeur de la GameCube), est sur le point d’investir dans le jeu quelques-uns de ses milliards amassés. L’évolution du iPhone lui-même vers une conception mieux travaillée pour le jeu semble faire partie des évidences de la feuille de route, mais, au-delà, tant de stratégies s’offrent à l’insolent nouveau venu qu’il faudra attendre de le voir agir pour juger. Reste que la maison Steve Jobs, en jetant un si beau bordel, aura été dans cette affaire fidèle à sa réputation créative. L’industrie du jeu vient de prendre, à ses frais, une sorte de leçon. Paysage chamboulé, rapports de force déjoués, principes commerciaux imposés, modèle industriel révolutionné : si ce n’est pas de l’innovation ! Pour ce qui est du business, rendons tout de suite les armes : Apple est le boss de l’innovation. Pour ce qui est du jeu, il vaut mieux là aussi patienter.
(1) Voir les deux précédentes chroniques sur le site www.ecrans.fr. Cette chronique reprendra le 28 mai.