«Après s'être plantés pendant quinze ans, au nom de quelle vision d'avenir ces gens veulent-ils imposer leurs lois?»

par Astrid GIRARDEAU
publié le 16 juillet 2008 à 18h32
(mis à jour le 16 juillet 2008 à 19h44)

«Il semble clair que M. Henrard est dépassé par les sujets qu'il aborde» déclarait la semaine dernière , Jean-Bernard Magescas, président de FON France (1). Il réagissait à la mort des systèmes de réseau sans fil communautaires annoncée quelques jours plus tôt par le conseiller juridique de Christine Albanel dans une interview au site Les Numériques . Devant le mini-tollé suscité, le 10 juillet, ce dernier demandait à publier un complément de réponse à peine plus limpide quant au sort réservé aux systèmes type FON. Nous avons contacté Jean-Bernard Magescas. Il nous donne son point de vue en tant que président de FON France, mais aussi en tant qu'amateur d'Internet et citoyen français.

Etes-vous inquiet par la loi Création et Internet ?

_ En tant que citoyen français, oui. Jusqu'ici, je ne m'y suis pas vraiment intéressé car je ne pensais pas qu'on en arriverait à de tels extrêmes. Mais les propos d'Henrard montrent l'état d'impréparation, voire d'inculture numérique du gouvernement. Ils veulent transformer la France en pays de geeks avertis, où tout le monde serait capable de remonter des adresses ou d'empêcher des contrevenants d'utiliser son trafic. C'est ridicule.

Internet, c'est tout sauf le Far-West, mais ils sont en train de le transformer en Far-West. Internet, c'est partager, échanger, faire des choses ensemble. Ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils confondent Internet, les réseaux de communication et le web. Et aujourd'hui c'est la structure même d'Internet, la neutralité, l'inter-opérabilité, qui est directement menacée

Est-ce que la riposte graduée est compatible avec l'existence de FON ?

_ Je refuse de répondre. Je ne peux pas croire qu'une telle loi puisse passer. Aujourd'hui, il y a des auteurs et des créateurs qui veulent vivre de leur travail, et c'est normal. Mais au nom de ça, on est en train d'en faire une espèce de réserve d'indiens, et de tout faire pour ne rien changer. Il y a un tas de gens qui couinent, alors qu'il faut que ça bouge. Dans cette société où le numérique va jouer un rôle énorme, il faut réfléchir au cadre légal qu'on peut définir. Je demande que soit constituée une délégation parlementaire réunissant tout le monde et qui travaille en transparence -- toutes les informations doivent être mises à disposition du public -- sur les solutions à mettre en place pour assurer une juste rémunération aux artistes, sans criminaliser les internautes.

Avez-vous été contacté dans le cadre de l'élaboration du projet de loi Création et Internet ?

_ FON n'a jamais été contacté, ni approché. Pourtant, nous avons aujourd'hui pour partenaires SFR et Neuf Cegetel en France, et British Telecom ou Comstar en Europe, et FON est utilisé par 125000 citoyens. Nous participons à de nombreux projets institutionnels, dont le Quartier Numérique, récemment salué par Eric Besson, le secrétaire d'Etat chargé du développement de l'économie numérique. Suite à l'interview du conseiller du ministère, j'ai envoyé un mail au ministère demandant de publier un communiqué de mise au point, de nous fournir les éléments qui ont abouti à déclarer la fin de l'activité de FON et des réseaux de partage, ainsi que le dossier qui a été transmis à la Commission Européenne. Je l'ai envoyé le 4 juillet dernier, il est toujours sans réponse.

Comment en est-on arrivé là ?

_ Depuis 1994, et les premiers systèmes permettant le partage de fichiers de musique, jusqu'à il y a un an, l'industrie du disque n'a rien fait. Si, sur chaque fichier échangé, ils avaient perçu dix centimes de dollars, ils se seraient fait des milliards ! Mais ils ont refusé, car cela ne correspondait pas à leur modèle. Ils ont TOUT refusé. Et dans le même temps, le business s'est écroulé. Ensuite, Apple, puis Denis Olivennes, alors président de la Fnac, ont abandonné les DRM après avoir dit que c'était le Saint Graal. Après s'être plantés pendant quinze ans, au nom de quoi, de quelle morale, de quelle vision d'avenir, ces gens veulent-ils imposer leurs lois ? Ca n'est pas à Pascal Rogard, Pascal Nègre et Christine Albanel de décider, ça les dépasse. Ils ont leur mot à dire, mais comme d'autres. Ils n'ont pas à imposer de loi.

(1) Créé en 2005 par Martin Varsavsky, le réseau FON permet d’accéder à Internet selon l’une des trois solutions proposées. Le « Linus » partage sa connexion et utilise gratuitement celle des autres adhérents, l’« Alien » ne partage pas sa connexion mais achète des pass pour se connecter sur l’un des points d’accès FON, et le « Bill », partage sa connexion et utilise gratuitement celle des autres adhérents mais aussi reçoit une partie des pass achetés pour utiliser son point d’accès.

Sur le même sujet : FON, victime collatérale de la riposte graduée ? (10/07/2008)

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