Critique

Araki, bi en tête

New Order. Dans «Kaboom !», le cinéaste met des étudiants délurés aux prises avec une secte meurtrière. Répliques cultes et humour fou.
par Gérard Lefort
publié le 17 mai 2010 à 0h00

Décidément ce Gregg Araki est un drôle d'oiseau. Capable du tout à fait formidable (Mysterious Skin, sur le sujet réputé intouchable de la pédophilie), coupable du pas terrible (Smiley Face). Kaboom relève nettement de la première catégorie. Un film chaud qui bande pendant 1 h 26, ce qui est déjà en soi une intéressante performance, mais qui mouille aussi. Cela dit crûment, car Kaboom ne mâche pas ses mots. Glissés dans la bouche d'un groupe d'adolescents, étudiants d'un campus américain exceptionnellement banal. Leur question existentielle est de savoir avec qui niquer ou se faire niquer. Les réponses se bousculent dans les slips, vu qu'il sont tous au-délà du canon et du bisexuel.

«Tongs». Ce qui induit un certain nombre de dialogues hardis (et correctement sous-titrés) qui, à peine articulés, sont déjà culte. Ainsi d'un jeune homme sensible, Smith (le ravissant Thomas Dekker), sorte de Mister Pupuce incarné, qui consulte sa meilleure amie Stella (Haley Bennett, rousse à croquer) rapport à ses doutes sur l'absolue hétérosexualité de Thor, son colocataire (Chris Zylka, sorte de Brice de Nice en plus bourrin). «La seule chose qui m'intrigue, c'est que Thor a toute une collection de tongs qu'il range par couleurs.» Stella, dans un festival d'yeux au plafond : «Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Qu'il suce des bites en écoutant Lady Gaga ?»

Et puis quoi encore ? Presque rien, des bricoles du genre «j'ai connu des frottis vaginaux qui duraient plus longtemps» (d'une jeune fille à son amant un peu lapin dans le rapport sexuel). Ou, toujours par la même, une fiche pratique cunnilingus my love, d'où il ressort que «le clito, c'est la petite bite des filles». Tout ça canardé au rythme d'une Kalachnikov emballée. Voilà, on reprend sa respiration, ce qui reste de ses esprits et on continue.

Car Kaboom n'est pas seulement une réjouissante comédie à ados qui réduit American Pie à l'état de tarte rassie. C'est surtout, façon massacre de Fort Apache, une charge d'une rare intelligence qui bastonne la propension hollywoodienne, soit à voir des complots partout (impliquant au minimum la CIA et la bande à martiens), soit à prédire des apocalypses pour 2012. A la marge d'un hommage au Twin Peaks de David Lynch, feuilleton qui, aux dires d'Araki, traumatisa son adolescence, Kaboom décanille assez vite de son propos sexuel (mais pas au point de débander) pour s'activer dans une intrigue horrifique.

Vaudou. Sur le campus de l'université of Fuck You, une secte mystérieuse répondant au patronyme de New Order (oui, oui, comme le groupe des années 80) est un peu agitée du pic à glace. Par ailleurs, il semblerait qu'une gouine accorte a certains pouvoirs surnaturels, genre panique à la centrale nucléaire dans la bouche dès qu'elle est chiffon, et autres usage immodéré des épingles dans la poupée vaudou quand sa petite amie commence à avoir les chocottes. Mais le pompon, c'est le jeune Smith (nom du méchant dans Matrix, ce qui ne doit pas être tout à fait un hasard). Non seulement il a des bouffées de prémonitions mais en plus - c'est le Messie qui le dit (Le Messie ? Oui, LE Messie ! Laisse tomber la neige) - il est le fils de l'Elu, c'est-à-dire de son père, qui n'est pas du tout mort dans un accident de voiture comme vous et moi, mais qui, sorte de Zaza Napoli échappé d'un défilé de Galliano, est devenu le grand Boula-Matari de New Order et, à ce titre suprême, a le doigt sur le bouton rouge qui va faire sauter la planète. D'où le titre : Kaboom !

A ce point du récit, il est manifeste que le scénario a été sponsorisé par une grande marque de LSD. Mais pas seulement. Il est surtout l'ultime symptôme de la très grande forme d'un Araki qui, avec ce contre-feu à la connerie américaine, retrouve le bel esprit frondeur, surréaliste (citation du Chien andalou) et, pour tout dire, bienfaisant de ses premiers films. Un Araki à l'ancienne.

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