Menu
Libération

Arte : après Jérôme Clément, c’est Véronique Cayla

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 28 octobre 2010 à 9h21
(mis à jour le 28 octobre 2010 à 10h34)

Franchement ? Franchement oui, il manquera un peu, Jérôme Clément. C'était le seul patron de l'audiovisuel à délivrer, en préambule de chacune des (très) nombreuses conférences de presse d'Arte, son avis sur l'actualité, la vie politique ou, suivant l'humeur, le monde tel qu'il va. Ainsi, lors de la rentrée de la chaîne culturelle franco-allemande, en septembre, il y est allé d'un petit billet pas piqué des hannetons à l'endroit de certain président de la République, évoquant «les remontées xénophobes et les attaques contre les étrangers dont on se demande à qui elles servent» . À quelques mois près, mais dans un style légèrement moins pompier, Jérôme Clément coiffe d'une tête Patrick Le Lay et Nicolas de Tavernost au titre de patron de chaîne à la plus forte longévité : vingt ans qu'il présidait aux destinées d'Arte, depuis la naissance de la chaîne, en fait, entérinée par un traité interétatique signé le 2 octobre 1990 entre l'Allemagne et la France.

Voilà le lourd héritage qu’aura à porter Véronique Cayla : intronisée lundi par le conseil de surveillance d’Arte, elle sera sacrée aujourd’hui lors de l’assemblée générale d’Arte GEIE -- le groupement européen d’intérêt économique détenu conjointement par l’Allemagne et la France -- avant une entrée en fonction le 1er janvier 2011. À cette date, elle prendra la place du président allemand d’Arte GEIE, Gottfried Langenstein, avant de se substituer à Jérôme Clément à la tête d’Arte France en mars 2011.

À 60 ans, la dame, jusqu'alors directrice du Centre national de la cinématographie (CNC), n'a jamais dirigé de chaîne de télé, mais Véronique Cayla navigue dans l'audiovisuel et la culture depuis toujours : la Vidéothèque de Paris, MK2, puis le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dont elle a été l'une des Sages entre 1999 et 2001 avant de prendre la direction du Festival de Cannes -- et son époux, Philippe, est le patron de la chaîne d'infos Euronews. Proche de Jacques Chirac, elle est marquée à droite -- mais pas au fer rouge non plus -- et c'est aussi à ça qu'elle doit sa nomination : «C'est la candidate du consensus» , analyse-t-on au sein de la chaîne.

Car Véronique Cayla ne devait pas être présidente d’Arte. Celui qui, normalement, aurait dû succéder à Gotfried Langenstein et Jérôme Clément, c’est… Rémy Pflimlin. Le poste lui était promis par Nicolas Sarkozy, mais voilà : pour cause d’un Alexandre Bompard plombé en plein vol par l’affaire Woerth, Sarkozy a rattrapé Pflimlin par le colbac pour l’installer à France Télévisions.

Il faut donc trouver un remplaçant au remplaçant, et, soutenu par Clément, commence à circuler sérieusement pendant l'été et à la rentrée le nom de David Kessler, étiqueté à gauche, ancien directeur de France Culture, dans les petits papiers du ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand. Parfait, quoi. Et même Nicolas Sarkozy semble d'accord. Sauf qu'à l'UMP, on en a soupé de l'ouverture à gauche, et le nom de Kessler fait couiner sévère. Out Kessler. «Le prétexte ? On a dit qu'il ne parlait pas allemand , raconte un salarié. C'est toujours ce qu'on dit à Arte quand on ne veut pas engager quelqu'un.» De nouveaux favoris font alors surface, Véronique Cayla et Jean-Pierre Cottet, ancien de France Télévisions et de Lagardère. Les deux noms sont en concurrence pendant quelque temps, mais la semaine dernière, l'affaire est réglée : ce sera Cayla. L'Élysée aurait même déjà deux noms en tête pour lui succéder au CNC : Eric Garandeau, conseiller auprès de Nicolas Sarkozy, ou Roch Olivier Maistre, médiateur du cinéma.

Si à Arte le nom de Véronique Cayla est plutôt bien accueilli, et son double parcours - privé chez MK2, public au CNC -- inspire généralement confiance, elle a du Brot sur la planche. Car il n'y a pas grand monde pour le nier au sein de la chaîne franco-allemande : Arte roupille, et ce depuis des années. La programmation spéciale mise en place cet automne pour fêter les 20 ans de la chaîne l'a mis en lumière de manière assez cruelle. En rediffusant des petites merveilles comme Palettes, l'Abécédaire de Gilles Deleuze, Corpus Christi , les films Marius et Jeannette ou Breaking the Waves , Arte s'est tiré une balle dans le pied : elle a mis en évidence que son passé était glorieux mais derrière elle, loin derrière elle.

Aujourd'hui, même si on pioche ici et là de bon programmes -- un récent Moloch Tropical , ou le docu Afrique, l'ambition chinoise --, le fond de la grille a pris des rides en même temps que son téléspectateur qui a aujourd'hui 57 ans d'âge moyen. Pire, son audience s'effrite et, avec 2,2% de parts d'audience, elle est dépassée par TMC et W9. «La chaîne s'est essoufflée et elle a vieilli, elle ne s'est pas suffisamment renouvelée» , admet un cadre.

Pour certains, il faudrait moderniser la façon de faire du documentaire, de filmer les spectacles. Pour d'autres, le problème vient des producteurs : «Arte travaille toujours avec les mêmes.» Si personne ne met directement en cause Jérôme Clément ( «il n'a pas démérité» ), des salariés sont plus sévères encore. «La chaîne ne va pas bien, il n'y a plus de stratégie, explique l'un. Arte, c'est comme le Parti socialiste, les dirigeants pensent qu'ils n'y a qu'une façon de faire de la télé. Or, on doit faire une télévision d'auteur, une télévision engagée. Et c'est ce qui marche : nos meilleures audiences c'est "le Monde selon Monsanto" ou "le Mystère de la disparition des abeilles" !» Pourtant, avec un budget qui dépasse les 400 millions d'euros, Arte a de quoi faire. Et quand on voit ce que la chaîne fait sur le Web, Arte+7, Arte radio, mais aussi des webdocus comme Gaza/Sderot ou Prison Valley ainsi que des webséries, on se dit que la créativité est toujours là. Elle a juste changé d'écran.

Paru dans Libération du 27 octobre 2010

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique