Animateur, la voix de son nègre

Week-end. Humour. Plus un seul talk-show sans son auteur de bons mots attitré. Mais qui se cache sous ces plumes de l’ombre au service des Ardisson, Cauet, Ruquier, et même du père Fouras ?
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 24 novembre 2007 à 1h40

L’attentat surviendra un jeudi sur TF1, vers 22 h 35, au début de la Méthode Cauet. L’animateur apparaîtra, une ride soucieuse barrant son noble front et ses lèvres purpurines s’entrouvriront pour articuler. rien. Il balbutiera une blague de Toto, un «Poil au cul», en vain. Second raid, le samedi à 19 h 15 sur Canal + dans Salut les Terriens ! Thierry Ardisson bredouillera quelques mots sans queue ni tête. Et ainsi de suite chez Ruquier et consorts. Un cauchemar. Celui que vivent les téléspectateurs américains privés de leurs talk-shows préférés depuis deux semaines que les scénaristes télé sont en grève. Car les Late Show de David Letterman et autre Tonight Show de Jay Leno, où les animateurs rivalisent de bons mots et de reparties fusantes, sont en réalité écrits à la virgule près par des bataillons d’auteurs. Et en France ? Eh bien, nous souffle notre nègre, c’est pareil : une armée des ombres sue sang et encre pour faire de nos Ardisson et Cauet les maîtres d’éloquence que l’on sait.

Ils sont partout

C'est aussi troublant que d'apprendre qu'il y a quelqu'un dans Casimir : Cauet n'est pas l'auteur de ses mots. Prenons cette excellente vanne servie jeudi à Chimène Badi : «Alors Chimène, tu as déjà fait un concert acoustique ?» Elle : «Non.» Lui, montrant un photomontage de la chanteuse devant le panneau de la ville de Coustique : «Mais si, tu as déjà chanté à Coustique !» Avant de mourir de rire, sachez qu'ils sont trois, dans l'ombre à fourbir ces saillies. Et la pratique est répandue : «Quand il y a un prompteur, il y a un auteur», résume l'un d'eux. Michel Drucker, Thierry Ardisson, Nagui, Arthur, Laurent Ruquier, Nikos Aliagas (mais oui !), Benjamin Castaldi (re mais oui !) et même cet usurpateur de père Fouras. Au carbone 14, on date l'apparition des auteurs aux années 80 et à la naissance de Canal + : «Sur Nulle Part ailleurs, c'était la première foisque des séquences marrantes étaient intégrées dans une émission quotidienne, raconte Alain de Greef, ancien directeur des programmes de la chaîne. Mais Gildas n'avait pas d'auteurs, ça restait limité aux humoristes.» Un des premiers auteurs connus a été Laurent Chalumeau, qui, avec Albert Algoud, travaillait pour Antoine de Caunes. Car l'auteur est «un luxe», pour Bertrand Delaire, qui écrit pour Omar et Fred sur Canal +, «un sparring partner», selon Chalumeau ou «un filet» pour Emmanuel de Arriba, auteur pour Vidéo gag, ou Fort Boyard. «C'est pas une façon de moins travailler, explique Thierry Ardisson, c'est une façon de donner au public le meilleur produit possible.» Depuis les années 80, la pratique s'est étendue à toute la télé ainsi qu'aux cérémonies style césars : «J'ai demandé à Chalumeau, explique de Greef, de se mettre à disposition des participants pour qu'ils aient l'air moins nunuche, genre La-misère-dans-le-tiers-monde-pendant-que-nous-sommes-là-dans-nos-smokings-et-nos-robes-Prada ».

Qui sont-ils ?

Sur Canal +, où on aime faire les choses humblement, la politique de l'auteur est allée jusqu'à créer Canal + Idées, aujourd'hui fermée, qui devait pondre de jeunes talents pour la série H, les Guignols, etc. Parmi eux, le chanteur Benabar ou Stéphane Ribeiro, aujourd'hui scribe d'Ardisson et de Thomas Ngijol. Les parcours sont disparates : la pub pour Bertrand Delaire, l'usine dès 14 ans pour Philippe Giangreco (H, les Guignols) ou, pour Ribeiro, du «conseil en stratégies et organisation». Emmanuel de Arriba, lui, est passé par le café-théâtre : «J'ai essayé pendant un an et demi, c'était très difficile, aujourd'hui, je suis dans l'ombre et ça me va.» De grands timides, ces auteurs quand la télé est envahie de volumineuses cucurbitacées. «Je n'ai pas de problème d'ego, affirme Bertrand Delaire, la démarche correspond à ce que l'on est : je n'ai pas de talent d'interprète.» Si, selon les auteurs, certains animateurs rechignent à avouer qu'il y a des plumes derrière leur faconde au point d'oublier leurs noms au générique, Ardisson assume : «Ça me pose pas plus de souci d'ego que Julien Clerc chantant du Roda-Gil. Et puis dans la vie, je suis pas super drôle.»

Mais pour quoi faire ?

Thierry Ardisson s'y est mis en 2002 : «Mes interviews devenaient trop répétitives, j'ai voulu qu'elles soient personnalisées en fonction des invités.» Et Ardisson se dote, pour Tout le monde en parle sur France 2, d'un trio d'auteurs qui lui fournit interviews et blagues : «Au début, leurs vannes, j'arrivais pas à les sortir, c'était pas moi, alors je ne m'en servais pas.» Et puis, un soir, chez Drucker, Ardisson retrouve dans la bouche d'Alain Chabat les saillies qu'il n'a pas utilisées : «Ma femme m'a dit : Il est quand même drôle, ce Chabat , alors je me suis forcé et j'ai appris à déclencher des rires.» Mais dans la coulisse, ça bosse dur : stakhanoviste de la vanne qui tue, Stéphane Ribeiro pond pour Ardisson 200 pages par semaine ! Vingt seulement sont retenues. «Je prends ça comme un boulot, ça vient aussi de ma formation, explique Ribeiro qui est passé par Sciences-Po et des études d'ingénieur, j'ai été habitué à rendre un produit, mais ça n'empêche pas le plaisir, c'était ce que je rêvais de faire quand j'étais petit, je le ferais même gratuitement !» Ouais, c'est ça. Difficile d'évaluer le nombre d'auteurs qui vivent de la télé : une trentaine, peut-être, jugent les uns et les autres. Et les salaires ? Alors là, nos grands discrets se font violettes : «de 200 à 8 000 euros l'émission», hasarde Ribeiro. Plus les droits d'auteur. Mais dès qu'une émission est suprimée, tout s'arrête et les auteurs n'ont pas de chômage.

Et comment ça s’écrit ?

Tous les nègres l’affirment en choeur : l’animateur ne doit pas être un pantin ânonnant son texte. «Ça marche si l’auteur n’est pas juste un ventriloque», souligne Laurent Chalumeau. Tout est affaire de relation : «Je n’écris pas pour, dit Delaire, conjoint de plume d’Omar et Fred, j’écris avec.» Avec plus ou moins de bonheur : lors d’une cérémonie des césars, Chalumeau se souvient de s’y être repris à plusieurs fois pour le texte de Lambert Wilson remettant le prix du meilleur scénario. «A la fin, je lui ai fait Il n’y a pas de bon film sans bon scénario , il était ravi !» En France, on n’en est pas, comme aux Etats-Unis, à écrire aussi les textes des invités. Encore que, raconte Philippe Giangreco, «j’ai travaillé pour des invités de Ciel mon mardi ! qui m’engageaient pour préparer des punch lines, des reparties marrantes aux questions de Dechavanne qu’on demandait à l’avance». Mais être marrant, c’est un métier. Marcel Proust n’aurait jamais pu écrire pour la télé. Trop long. Trop verbeux. Trop emberlificoté. «Le style télé, c’est un langage direct, énonce Bertrand Delaire, une idée qui s’exprime en quelques mots, une formule mémorisable.» Bref, la télé s’écrit comme la pub. Et même dans Vidéo gag où Emmanuel de Arriba - également parolier du groupe de rock alternatif No One Is Innocent. - écrit les dialogues des animateurs : «Moins on me remarque, mieux c’est, il faut que ce soit doux aux oreilles.» Il sera beaucoup pardonné à Arriba. Il est aussi la plume qui écrivit cette immortelle réplique, servie dans Fort Boyard par Olivier Minne à un Maître du temps qui venait de se faire ratatiner par un candidat : «Maître vous êtes une quiche.»

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