Assange, de la fuite dans les idées

par Sophian Fanen
publié le 25 avril 2012 à 12h28

Julian Assange avait promis que le premier invité de son émission télévisée hebdomadaire -- également diffusée sur Internet -- serait «controversé» , et il n'a pas manqué son coup en recevant Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, soutien du régime syrien. C'est la première interview du leader politique, considéré comme un terroriste par les Etats-Unis, sur une chaîne occidentale depuis 2006.

Assigné à résidence dans la campagne anglaise depuis décembre 2010, Julian Assange, fondateur et porte-voix du réseau WikiLeaks, a donc trouvé une nouvelle façon de tuer le temps en attendant son éventuelle extradition vers la Suède, où il doit être jugé dans une affaire de viol présumé. Avant peut-être d’être livré aux Etats-Unis, qui le réclament pour de multiples violations de secrets d’Etat et de documents militaires confidentiels.

Dans l'émission The World Tomorrow («le monde de demain»), Assange reçoit à la maison par caméras interposées, dans une petite pièce un rien bordélique envahie par d'épais rideaux fleuris. En chemise blanche et arborant un début de barbe, il joue sans fioritures le journaliste débutant qui boit beaucoup de café.

«Un grand nombre des choses dont nous avons essayé de rendre compte [avec WikiLeaks, ndlr] n'ont pas été relayées avec précision dans la presse grand public» , estimait-il avant la première de son émission. Cette série de douze entretiens doit donc livrer sa vision d'un monde où chacun a la parole. «Notre objectif est de comprendre pourquoi [Hassan Nasrallah] est un combattant de la paix pour des millions de personnes dans le monde et un terroriste pour d'autres» , annonce-t-il en préambule de son interview, longue d'une demi-heure. «Est-ce que le Hezbollah a une ligne rouge face aux violences en Syrie, demande entre autres le trop gentil Assange à son interlocuteur. Quand va-t-il dire "c'est assez" ?»

Mais le message libertariste est brouillé d'office par la nature de la chaîne qui diffuse The World Tomorrow : RT, canal officiel international financé par le gouvernement russe, qui lui aussi soutient le régime de Bachar al-Assad en Syrie malgré la pression internationale.

«Nous avons un contrôle éditorial total [de l'émission] , s'est justifié Julian Assange dans une interview donnée à la rédaction de la chaîne. RT est la voix de la Russie et observe les choses du point de vue russe. Comme la BBC est la voix du gouvernement britannique ou Voice of America celle du gouvernement américain.»

Dans un double mouvement mêlant professionnalisme et surf sur un gros coup médiatique, RT a diffusé dans la foulée de l'émission un reportage sur les réactions soulevées à travers le monde. Aux Etats-Unis, Glenn Beck, commentateur ultraconservateur de Fox News, y déclare notamment que «l'agent russe Assange montre à tous son antiaméricanisme» . Des critiques qui, au final, sont plus marquantes que l'émission en elle-même.

C’est aussi certainement ce que cherchait l’Australien, qui rappelle en réapparaissant dans la sphère médiatique que sa voix porte toujours. Il reste onze émissions à Julian Assange pour muscler son jeu et prouver qu’il défend encore l’idéal de transparence et d’indépendance revendiqué par WikiLeaks.

Paru dans Libération du 21 avril 2012

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