«Assassin’s Creed III», l’as des haches

par Olivier Seguret
publié le 2 novembre 2012 à 12h03

Avant d'attaquer le fond d' Assassin's Creed III , que l'on nous permette un léger détour sur les rapports ambigus que la presse entretient avec les jeux vidéo. Pour rendre compte des jeux, la formule la plus couramment employée, que ce soit dans les revues papier spécialisées ou sur le Web, s'appelle le test, auquel Libération s'est toujours refusé, préférant exercer sur les jeux un regard relevant de la critique. Le test présente quantité d'obstacles à l'expression d'une opinion sensible, mais surtout, il affiche une prétention à l'exhaustivité mensongère. Pour «tester» réellement un jeu, il faudrait pouvoir en éprouver dans la durée tous les aspects, le soumettre à des épreuves spécifiques, voire comparatives, comme le fait 60 Millions de consommateurs avec un contrat d'assurance ou un frigo. Un jeu comme Assassin's Creed III met d'emblée en échec la validité du test et de ses principes. Trop vaste, trop complexe, trop profond, il défie toute tentative de passage complet aux rayons X… A moins que…

Il existe en fait un objet - et un seul - qui puisse prétendre au titre de test infaillible et archicomplet d' Assassin's Creed III , c'est son guide stratégique officiel. L'expérience qui consiste à se plonger dans ses centaines de pages et ses milliers d'illustrations avant même de commencer le jeu peut donner un sentiment de vertige mais aussi d'admiration. Scrupuleusement non critique, sobre dans ses émotions et ses commentaires, exhaustif dans ses précisions et très précieux pour qui entendrait entreprendre un «parcours parfait» à travers la très vaste épopée où nous entraîne le nouveau volet des aventures de la secte des Assassins, ce guide stratégique forme en soi un objet passionnant, le seul à même de donner au lecteur-joueur une véritable idée de ce qui l'attend, depuis l'étendue du travail accompli par les développeurs jusqu'à l'immensité historique, géographique, contextuelle que le jeu entend embrasser (1).

On diffère, on diffère, mais c'est le jeu lui-même qui nous y invite. Assassin's Creed III , en effet, commence par repousser longuement l'apparition de son véritable héros au sang-mêlé : Connor, de mère indienne et de père britannique. Depuis la région natale où est établi son peuple, quelque part entre le Massachusetts et les territoires appelés Frontier, au nord d'un continent américain encore largement vierge, le jeune et agile Connor va étendre son rayonnement et sa renommée à travers un pays inachevé, les Etats-Unis d'Amérique, qu'il contribue à accoucher.

Un désir œdipien de vengeance personnelle l'anime : il lui faudra tuer son père. Mais il est aussi habité par un destin qui le dépasse : la fameuse guerre transhistorique entre les Assassins, auxquels Connor appartient, et l'ordre ennemi des Templiers, conflit sur lequel repose toute la dramaturgie de la licence Assassin's Creed . Avec une hardiesse efficace et payante, les scénaristes n'hésitent jamais à placer Connor au croisement exact des événements historiques de la Révolution américaine. Il est pile au bon endroit au bon moment et devient successivement le pote de Benjamin Franklin, le témoin du massacre de Boston, le conseiller de George Washington, l'allumette qui fait exploser la révolte du Tea Party (la vraie, l'originale, celle des Américains contre le Parlement colonial britannique en 1773), etc. Le fonds encyclopédique convoqué pour éclairer cette période est lui aussi massif, mais subsidiaire.

Moins show off et moins «assassin» au sens strict que ses illustres ancêtres Altaïr (dans le premier épisode de la série), ou Ezio (dans le second), Connor n’est un héros qu’à demi-charismatique, son talent personnel résidant plutôt dans une forme de bonté rugueuse et dans la confiance qu’il inspire spontanément aux autres protagonistes de l’aventure. Il n’en reste pas moins redoutable et hyperactif.

Admettons qu'il faudra aux débutants apprendre la langue si particulière du gameplay attaché à cette licence. Mais cet effort sera largement récompensé par la liberté de mouvements acquise (et en net progrès vis-à-vis) dont le joueur profitera pleinement une fois déverrouillées les zones sauvages qui constituent la région de Frontier, dont on peut plaider qu'elles forment aussi le morceau de choix d' Assassin's Creed III .

Parmi la myriade de missions ponctuelles du jeu, celle, au long cours, qui consiste à rendre florissant le domaine de Connor ajoute à la série une touche de gestion plutôt bien vue, dans la mesure où l’on a le sentiment de participer à une ébauche de système capitaliste (transformer des matériaux, les vendre et se développer) dans le cadre même qui deviendra son paradis matérialiste. Mais à l’heure où Connor l’investit, c’est encore un eden naturel, dans lequel les gibiers abondent et où les arbres offrent de féeriques chemins suspendus.

Plus grosse production jamais mise en œuvre par Ubisoft (en l'occurrence son antenne de Montréal), Assassin's Creed III est certainement le plus épique et spectaculaire des épisodes de la série. Curieusement, c'est également le plus secret et le plus introverti : celui dans lequel chaque joueur aura à cœur, selon son chemin propre, de découvrir une autre Amérique… tout en se découvrant lui-même.

(1) Pour se faire une idée, on recommande de télécharger gratuitement 25 pages du guide stratégique «AC III» sur le site officiel de son éditeur : piggyback.com/fr

Paru dans Libération du 1 novembre 2012

Assassin’s Creed III

_ Ubisoft, sur PS3, XBox (sur PC et Wii U fin novembre)

_ Environ 55 €.

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