Filtrage : La mauvaise blague australienne

par Astrid GIRARDEAU
publié le 11 février 2009 à 13h12
(mis à jour le 11 février 2009 à 13h16)

En novembre dernier, on apprenait que l'Australie était prête à installer un filtrage à grand échelle. Le gouvernement travailliste prévoit en effet d'obliger les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) à bloquer une liste noire de quelques 10000 sites . Un plan observé par de nombreux pays (démocratiques) du monde entier, dont la France qui, au sein de ces ministères de la Culture, de la Famille et de l'Intérieur, mijotent des mesures similaires. Malgré la volonté de Stephen Conroy, le ministre des Communications et de l'Economie numérique, sa mise en place est sans cesse retardée.

«Le gouvernement n'a toujours pas dit au public ni au média quand cela va démarrer» , nous a confirmé Irene Graham de Libertus , une association active contre le projet aux côtés de l'Electronic Frontiers Australia (EFA) à l'origine de No Clean Feed , un mouvement pour informer et agir contre ce qu'elle décrit comme un système de censure d'Internet.

Elaboré par Stephen Conroy, le ministre des Communications et de l'Economie numérique, le projet, budgété à hauteur de 150 millions de dollars australiens (76 millions d'euros), serait à double niveau. Un premier, désactivable, visant à empêcher les enfants de tomber sur des contenus «dangereux et inappropriés» . Un second, lui obligatoire pour tout internaute australien, bloquera les contenus illégaux (dont Bittorrent), «mais aussi d'autres contenus indésirables» . Début décembre, le ministre remettait aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et opérateurs télécom nationaux un document décrivant les objectifs et les différentes technologies envisagées (filtrage hybride, par IP, par DNS, etc.), et les invitait, sur la base du volontariat, à participer à des tests pilotes à grande échelle.

Ces tests devaient être lancés le 24 décembre, avant d'être reportés à mi-janvier 2009 . Le gouvernement a dû faire face à une forte contestation du public, avec des manifestations le 13 décembre dernier , des associations de défense de consommations, de l'opposition politique, et surtout des FAI elles-même qui dénoncent les limites techniques et économiques d'un tel projet. Le président d'iInet, Michael Malone, expliquait avoir accepté pour prouver concrètement au gouvernement « qui refuse d'écouter les experts, d'écouter les industriels, et d'écouter les consommateurs » à quel point « son projet est stupide » . Notamment comment cela dégraderait la vitesse du débit (jusqu'à 87%) et bloquerait des milliers de pages par erreur.

«Une fois que la censure parrainée par le gouvernement commence pour de bon, il devient très difficile de savoir quand la liberté de choix est compromise» , poursuivait hier Malone sur Australian IT .

Aujourd'hui, ce même site nous apprend que six FAI participeront à la première phase de test : Primus Telecommunications, Tech 2U, Webshield, OMNIconnect, Netforce et Highway. Des fournisseurs très mineurs. «Ca ressemble à une blague. Des six, il n'y en a que deux dont j'ai déjà entendu parler , nous a indiqué Irene Graham. Cela n'aura aucune validité en termes d'applicabilité au niveau d'un FAI australien typique» . Dès fin janvier, Asher Moses , un journaliste australien particulièrement proche du dossier, prévoyait que seuls des petits fournisseurs seront impliqués, les principaux, comme Telstra et Internode, ayant refusé. «Cela signifie que les tests ne vont pas donner pas beaucoup de données utiles à propos les effets de filtrage de l'Internet dans le monde réel» , déclarait-il alors.

«Le projet pilote fournira les preuves sur les impacts concrets du filtrage dans le monde réel, y compris pour les fournisseurs et les utilisateurs d'Internet, a soutenu de son côté, hier, Stephen Conroy. Il fournira des données pour aider le gouvernement dans la mise en œuvre de sa politique.»

Un rapport d'experts, remis au gouvernement en février 2008, mais gardé secret jusqu'à décembre conclut que le schéma proposé est très imparfait. Aussi de son côté, le gouvernement a admis que, quelque soit la technologie de filtrage choisie, elle sera facilement contournable en utilisant des outils largement disponibles.

Les tests devraient durer au minimum six semaines, et les clients des FAI concernés auront le choix d'y participer ou non. Selon l'Australian IT, le premier test se fera sur une liste noire de 1370 pages, fournie par une autorité gouvernementale, l'ACMA (Australian Communications and Media Authority). Mais aucune date n'a été avancée.

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