Portrait

Autodidacte du joystick

Elevée à la dure loin du microcosme des gamers, Margaret Robertson est devenue rédactrice en chef de «Edge», le magazine anglais de référence en jeux vidéo.
par Mathilde REMY
publié le 1er juillet 2006 à 21h48

Quand, en avril, Margaret Robertson est devenue rédactrice en chef de Edge, le magazine britannique de référence des jeux vidéo, elle a reçu des e-mails de félicitation de tous les côtés. «Le plus frappant, ce fut ces femmes que je ne connaissais pas. Tout à coup, j'étais devenue un symbole à leurs yeux. Mais un symbole de quoi ? Je veux bien être félicitée, mais certainement pas d'être une femme : difficile de trouver une caractéristique moins distinctive !» Si Margaret, 30 ans, a décroché le poste, c'est surtout grâce à ses qualités de journaliste, à un esprit cultivé et aiguisé comme un rasoir, à une insatiable curiosité mais aussi à un parcours plutôt hors du commun.

Fille d'un pasteur et d'une institutrice, Margaret a grandi dans la rue principale d'Edimbourg. Entre le château, en haut, et la résidence officielle de la reine d'Angleterre, en bas, le Royal Mile traverse les quartiers défavorisés. La paroisse de son père est déficitaire et, dans la maison aux vingt-quatre chambres qui leur a été attribuée, les Robertson n'ont les moyens de chauffer que la cuisine, où les enfants viennent s'habiller le matin. C'est dans cette ambiance à la Dickens que les jeux vidéo font leur entrée dans la vie de Margaret, en même temps qu'elle découvre le rock et la science-fiction.

Son premier complice est un Atari ST accompagné d'une vingtaine de jeux. «C'était magique. A l'école, je récupérais de nouveaux jeux, sans manuel. Je passais des heures à essayer de les maîtriser ­ sans beaucoup de succès d'ailleurs. Mais peu importe. Ils me dépaysaient, me stimulaient, me tenaient compagnie. Dungeon Master, en particulier, m'a captivée. Tout avait l'air tellement réel. Sans cela, je ne sais pas comment j'aurais supporté mon quotidien.» Plus tard, grâce à une bourse inattendue que lui valent ses brillants résultats universitaires, elle s'offre la PlayStation sur un coup de tête, et plonge dans WipeOut pendant un an. Elle enchaîne avec Tempest ou Vib-Ribbon. Et Edge, qu'elle découvre alors, lui permet de réconcilier ses exigences intellectuelles et son loisir favori. Elle commence à poster sur le forum du magazine, alors fréquenté par une petite communauté très sélecte. Tony Mott, ancien rédacteur en chef de Edge, la repère et lui offre une colonne dans son nouveau projet, GameCentral, un service de télétexte pour la télévision britannique. Recrutée par le magazine fin 2003, Margaret franchit le pas. Elle quitte sa ville, son amoureux, ses amis et sa thèse d'histoire médiévale consacrée à la société du sud de la France au XIIe siècle. Quatre mois à peine après son arrivée, la quasi-totalité de l'équipe éditoriale démissionne, un phénomène récurrent dans l'histoire du magazine, qui a tendance à épuiser ses collaborateurs. Elle décide de rester et devient le principal pilier de la nouvelle rédaction avant d'en prendre les rênes. Aujourd'hui, Margaret perpétue la spécificité de Edge, unique magazine de la presse spécialisée qui s'intéresse aux implications économiques, artistiques, sociales, légales, éducatives du jeu. «Edge a toujours été libre d'aborder tous les sujets parce qu'il a gagné son indépendance financière. Cela exige énormément de travail mais travailler à Edge n'est pas un métier comme les autres.» Un sacerdoce ?

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