Avant l’heure, c’est spoiler

Difficile, sur le Web, de garder secrets suspense et fins de films et séries. Code de bonne conduite pour ne pas gâcher son plaisir
par Alexandre Hervaud
publié le 31 mai 2009 à 15h12
(mis à jour le 31 mai 2009 à 15h44)

Attention, spoiler . Si vous préférez ne rien savoir sur les spoilers , merci d'aller directement à la fin de l'article. Vous êtes prévenus. Un petit rappel de vocabulaire anglais ne faisant jamais de mal, révisons un peu : to spoil, en français, gâcher, ruiner. Sur Internet, un spoiler désigne un élément (texte, extrait vidéo) qui révèle un pan plus ou moins complet de l'intrigue d'un film, d'une série, d'un jeu vidéo… Le spoiler ultime reste évidemment le dévoilement de la fin d'une œuvre, qui plus est quand celle-ci s'achève sur un twist (retournement de situation). Exemple typique de films à ne pas spoiler : Sixième Sens, Fight Club, Seven … Vous voyez le tableau.

En mai, le magazine geek américain Wired s'est offert les services d'un rédac chef invité : J.J. Abrams, co-créateur des séries Lost et Fringe et réalisateur du dernier Star Trek. Dans un essai intitulé la Magie du mystère , le scénariste, expert en intrigues tortueuses, s'en prend à la multiplication des spoilers permis par le Net et à cette fascination innée – qu'il éprouve lui-même – à chercher à tout prix des réponses aux questions avant qu'elles soient données. «Le problème n'est pas vraiment que les secrets sortent avant l'heure. C'est que l'expérience soit détruite, et l'illusion réduite. Certains s'en moqueront, mais alors à quoi bon regarder un film ou une série ?» écrit ainsi Abrams.

Pour illustrer son propos, il explique que «la mise en place d'un tour de magie, la préparation de la chute d'une blague, sont aussi riches en sensations que le résultat» . Les carrières respectives de Sylvain Mirouf et de Guy Montagné tendent d'ailleurs à lui donner raison.

En matière de spoilers, les séries télévisées constituent un terrain miné, avec leurs habituelles fins d'épisode à rebondissement ( cliffhanger ), narration feuilletonesque oblige. A l'ère de l'ultra-communication personnelle sur le Net, permise par les réseaux sociaux, il est courant pour le téléphage compulsif et pirate de surcroît de s'épancher sur son hobby auprès de connaissances qui n'en demandent pas tant. Hadopi ou pas, dès le lendemain de leur diffusion américaine, les épisodes de séries populaires ( Lost, Heroes , etc.) se frayent un chemin dans les disques durs des amateurs français. Commencent alors le défilement d'impressions brutes dans les blogs, les statuts Facebook, sur Twitter…

Il est frappant de voir que la moindre mention d'un micro-détail de l'intrigue peut déclencher une fatwa chez les aficionados qui n'ont pas encore visionné l'épisode. Citer une réplique marquante hors contexte, sacrilège. Des règles de courtoisies se sont donc instaurées entre internautes civilisés, qui se contentent désormais de livrer des impressions vagues, du ressenti pur genre «Bof, un peu décevant ce final de How I Met Your Mother». La critique n'en sort évidemment pas grandie, mais les surprises sont préservées, et c'est le principal.

Etrangement, la fiction n'est pas la seule à provoquer ce genre de déconvenues : la télé-réalité aussi. Preuve en est la fureur contenue de deux collègues de la rubrique Ecrans-Médias (qui souhaitent rester anonymes) quand un confrère ingénu ose évoquer la Nouvelle Star par mail pendant sa diffusion en direct. Et oui, scoop : les horaires de bouclage forcent les pauvres à visionner l'émission en différé, quitte à prendre du retard sur la trépidante compétition (même si tout le monde sait que ­Camélia Jordana va gagner).

Tout n'est pourtant pas qu'anarchie sur le Web, et même les sites qui furent un temps des petits voyous du spoiler font désormais preuve de retenue (mention de ­contenu litigieux, écriture en texte invisible qui se révèlent en les sélectionnant avec la souris…). On trouve encore des exceptions notables, limite drôles, comme cette bévue ­signée M6 qui, en avril, dévoilait dans l'émission Accès Privé le funeste destin d'une Desperate Housewive dans un épisode encore inédit sur la chaîne. Ou comment les délais de diffusions aberrants couplés à une maladresse peuvent engendrer d'authentiques actes d'autosabotage.

Paru dans Libération du 30 mai 2009

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