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Le BIOS : «J'ai un an pour dégager le plancher de tous les PC»

par Camille Gévaudan
publié le 13 octobre 2010 à 16h35
(mis à jour le 13 octobre 2010 à 17h25)

C'est dans une carte mère des années 1980 que le vieux BIOS reçoit la presse pour les dernières interviews de sa carrière. Fiché dans une puce de mémoire morte comme une statue sur son trône, il ricane doucement de l'émoi médiatique que l'annonce de sa future retraite suscite. Fatigué mais serein, le vieillard revient pour Ecrans.fr sur ses années de bons et loyaux services aux ordinateurs personnels, marquées par des évolutions qu'il a eu de plus en plus de mal à suivre.

Comment avez-vous pris la lourde décision de partir à la retraite ?

Ha ha ha ! Ils sont impayables, ces jeunes journalistes. Tout usé et «has-been» que je puisse vous paraître, du haut de mes trente ans, je m'estime encore parfaitement capable de mener à bien ma mission professionnelle -- c'est-à-dire faire démarrer les ordinateurs. Je ne nie pas que la tâche est de plus en plus complexe, mais je la remplis vaillamment. Et dignement ! Non, je vais vous dire ce qui s'est passé. On m'a VI--RÉ.

Non !

Eh si ! C'était il y a deux semaines, déjà. Mark Doran, le grand patron de l' UEFI [ Unified Extensible Firmware Interface , ndlr] m'a passé un coup de fil pour m'annoncer le licenciement. Bon, il est quand même sympa : j'ai un préavis d'au moins un an. Un an pour faire mes valises et dégager le plancher de tous les PC...

Mais vous avez fait une faute grave ?

Bien sûr que non. Je n'ai pas changé ma méthode de travail depuis le début des années 1980. À l'époque, je me souviens, c'est IBM qui vendait ce qu'on appelait les ordinateurs personnels, les «PC». Et ils m'avaient embauché à un poste de la plus haute importance : je devais intervenir dès la mise sous tension d'un ordinateur pour vérifier que le système est prêt au démarrage, avant d'autoriser le système d'exploitation à se lancer. Que de responsabilités !

Depuis trente ans, donc, j'effectue sans broncher les mêmes opérations dans le même ordre. Je teste le processeur, j'initialise l'horloge interne de l'ordinateur, je vérifie la mémoire vive et la mémoire cache, puis je commence à lister tous les composants connectés au système : un disque dur par ci, un lecteur de disquette par là, et un clavier, une carte vidéo, une souris, n'importe quel bidule connecté à un port d'entrée ou de sortie. C'est d'ailleurs pour ça qu'on m'a appelé Basic Input/Output System , soit système de gestion élémentaire des entrées/sorties. Et quand j'ai fini, si mon tour d'inspection n'a révélé aucune anomalie, je donne le contrôle de la machine au système d'exploitation qui poireautait gentiment jusque-là.

Sans s'impatienter ?

Ben, si, un peu. C'est d'ailleurs pour ça que Mark Doran affirme que mon temps est passé. «Actuellement, il faut jusqu'à 25-30 secondes avant que le système d'exploitation ne se mette en route» , qu'il dit. Je trouve que c'est déjà une belle performance de ma part, mais il paraît que ça ne suffit plus en 2010. Le successeur qu'ils me préparent dans leurs centres de formation pourra faire la même chose en «quelques secondes» . C'est une course à la rapidité, en somme, comme dans toutes les réformes informatiques qu'on fait passer au 21e siècle. Et un peu une course contre les Mac, aussi. Ça fait depuis 2006 que ces frimeurs d'ordinateurs à pomme m'ont laissé tomber pour l' EFI , bien plus rapide. Alors les PC veulent leur revanche.

On entend également que vous peinez avec la taille des disques durs récents ou les ports USB...

Admettons. Pour tout vous avouer, la première fois qu'on m'a parlé de port USB, j'ai cru que ça concernait l'Union sénégalaise de banques. Mais on m'a bien expliqué ce que ça signifiait : l' Universal Serial Bus peut par exemple remplacer les vieilles connexions type PS/2 pour brancher un clavier ou une souris «à chaud». Vous rendez-vous compte, on peut même connecter un disque dur externe en USB alors que l'ordinateur est déjà allumé ! Toutes ces moderneries que sont les périphériques plug-and-play ont vraiment bouleversé mes habitudes.

Sans parler de ces monstres de disques durs que l'on fabrique aujourd'hui... Je suis à l'aise avec les mégaoctets et j'arrive encore à gérer les gigaoctets, mais c'est en téraoctets que l'on commence à compter désormais ! Ça me dépasse complètement. Mes constructeurs ont beau traficoter mes circuits pour me rendre plus ou moins compatible à l'informatique contemporaine, je sais qu'au fond de moi, je n'y pige que pouic. Finalement, Mark Doran a peut-être raison. J'ai mérité une retraite à l'écart de toute cette agitation technologique.

Vous avez effectivement eu une carrière bien remplie.

Et beaucoup plus longue qu'on ne le pensait ! Au début, je n'avais même signé qu'un CDD pour équiper 250000 ordinateurs, pas plus. Mes papas de chez IBM ont été les premiers surpris que je me débrouille si bien et si longtemps. Je mets au défi ce jeunot d'UEFI d'en faire autant !

En quoi son métier différera-t-il du vôtre ?

Mark Doran vous expliquera ça bien mieux que moi, mais en gros, le jeunot sera plus souple que moi dans la reconnaissance des périphériques. Au lieu de retenir que tel matériel spécifique se connecte toujours sur tel port spécifique, il sait reconnaître des comportements. Il comprend par exemple un «dispositif qui peut produire des informations de type clavier» , qu'il s'agisse d'un vrai clavier physique ou d'une tablette connectée à l'ordinateur qui transmet les informations saisies sur son clavier tactile. Il est très fort, je vous jure ! Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il est sorti des laboratoires d'Intel si facilement. Le taïwanais MSI devrait l'adopter d'ici la fin de l'année, et tous les principaux acteurs du secteur s'y intéressent de près : AMD, American Megatrends, Dell, HP, Microsoft, Phoenix... et même mon vieux pote IBM.

Merci beaucoup, cher BIOS, et profitez-bien de votre retraite.

Pas avant un an, les enfants, voire deux ou trois ! Je suis encore vaillant !

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