Série

Bakchich, le vilain canard

Les sites d’information sur le Net (6/6). Malgré un début de reconnaissance, le journal en ligne reste encore économiquement fragile.
par Frédérique Roussel
publié le 4 mai 2009 à 6h51
(mis à jour le 4 mai 2009 à 6h51)

Il y eut un débat sur son nom. Bakchich, ça ne fait pas très sérieux. Limite avarié et vendu. Même si, étymologiquement et en persan, le mot veut dire «cadeau aux dieux». Mais ces pinailleries sont aujourd’hui d’un autre âge. Bakchich, alors, était tout petit, lancé par deux jeunes journalistes et une diplômée d’école de commerce en mai 2006.

A l'automne 2007, le caneton avait grandi, rejoint par un routier de l'investigation, Nicolas Beau, venu du Canard enchaîné. Le débat fut alors tranché. Le nom allait rester. Bakchich.info, garanti «informations, enquêtes et mauvais esprit», promettait de dévoiler le dessous des cartes et les coulisses.

Son insolence et sa jeunesse lui ont immédiatement amené des ennemis. Son nom sentait le soufre et étrillait à l'envi. La marque existe, désormais, faite par une équipe de va-nu-pieds, dixit Nicolas Beau. Et quand on l'insulte, il répond. Comparé par Philippe Val à Je suis partout, journal antisémite sous l'Occupation, Bakchich a déposé plainte pour diffamation. L'audience, programmée jeudi dernier, a été renvoyée à septembre.

Casting. Des trois fondateurs de départ, il ne reste plus que Xavier Monnier, 28 ans, qui tient le manche avec Nicolas Beau, bientôt 57 ans. Les journalistes quadragénaires et plus qui avaient rappliqué au début sont presque tous partis. Pas facile, la soute du Web : bas salaires et gros horaires. Avec une moyenne d'âge autour de la trentaine, l'équipe compte douze CDI, tenus au rationnement salarial (de 1 400 à 2 500 euros).

Quelques éléments du casting détonnent un peu, comme cet agrégé d’économie très tôt converti, Bertrand Rothé. La dernière recrue s’appelle Philippe Pichon, un commandant de police mis à la retraite d’office à la fin du mois de mars après la divulgation des fiches Stic (la «banque de données» des infractions à la loi) de Johnny Hallyday et de Jamel Debbouze. Pour l’aider dans son recyclage, il y a, sur son bureau, une note intitulée : «Editer un papier». Selon Nicolas Beau, l’éditing, ça pèche un peu à Bakchich.

Ce sont sans doute leurs premiers vrais locaux. Longtemps, Bakchich a joué le SDF, site sans domicile fixe, hébergé gracieusement dans des bureaux en travaux et parfois sans commodités. Depuis février, l'équipe a enfin trouvé son chez-soi, dans les annexes d'une cartonnerie du Charonne, à Paris. Vu leurs précédents pied-à-terre, l'espace imparti ressemble à un paradis. Rien à voir avec des bureaux high-tech dernier cri à la blancheur garantie. Le mobilier affiche le bois verni, un âge certain et beaucoup de recoins. Les murs n'ont pas tardé à se couvrir des caricatures qui font toute l'illustration du site. Une des pièces est consacrée à la vidéo, une production purement Bakchich, avec une enquête par semaine de Marion Gay et Anthony Lesme. Le prochain sujet portera sur la Caisse d'allocations familiales, «un service public en crise».

Plusieurs fois, Bakchich a frôlé le dépôt de bilan. Plusieurs fois, les salaires n'ont pas été payés. En fin d'année dernière, le site a connu une grosse alerte et quelques sueurs froides. Son business-plan sous le bras, Nicolas Beau s'est démené pour convaincre. La SAS Bakchich a finalement réussi à lever 330 000 euros en février, de quoi tenir six mois de plus. Le site, gratuit avec une audience moyenne de 450 000 visites (selon l'institut Nielsen), vit de ses recettes publicitaires encore modiques, de 2 000 à 4 000 euros et la pub Google en sus, dans une conjoncture atone. «Mais les projections de notre régie, Hi-Media depuis janvier, sont très positives», se réjouit Nicolas Beau. Depuis le 8 décembre dernier, les «off» sont devenus payants, à 495 euros pour un an. Et 2 500 abonnés, particuliers, institutions ou entreprises, ont souscrit à ses «Confidentiels» et à l'Hebdo du vendredi, la version PDF ramassée de Bakchich.

Prudence. La production se vend aussi à la presse quotidienne régionale. Le Télégramme de Brest a ainsi signé un accord qui lui permet de piocher certains des articles ou même vidéos. «Bakchich.info propose un regard nouveau sur l'information et l'écriture», estime Hubert Coudurier, du quotidien de Morlaix, qui évoque aussi «un devoir de solidarité et la nécessité de proposer une offre alternative». Bakchich séduit donc la «vieille presse», et Nicolas Beau, qui s'amuse beaucoup à voir la nouvelle génération se colleter généreusement à l'info sur le Web, ne se départ pas d'une certaine prudence. Le site a déjà gagné en reconnaissance, bien malin qui peut dire ce qu'il en restera demain.

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