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Beatles, du jeu avec du vieux

L’industrie du jeu vidéo a tenu un rôle majeur dans la remastérisation du catalogue le plus convoité au monde. Résultat : «Beatles Rock Band», un titre qui vise un public transgénérationnel.
par Bruno Icher
publié le 10 septembre 2009 à 11h52

Jeff Castaneda, vice-président de MTV Games, la filiale jeu de la chaîne musicale américaine, n'est pas peu fier du tour de force. «On peut dire que la remastérisation du catalogue des Beatles a été rendu possible grâce à l'industrie du jeu vidéo.» Depuis une petite vingtaine d'années, personne n'avait réussi à faire asseoir à une même table des ayants droit qui, c'est un fait, n'ont pas un urgent besoin d'argent. Du coup, les chansons du groupe pop le plus célèbre du monde ne figuraient sur aucune plate-forme de vente de musique en ligne. C'est donc avec le jeu vidéo, plus exactement grâce au phénomène Rock Band (avatar d'un autre immense succès comparable, Guitar Hero ) que les Beatles sont sur le point de retrouver une jeunesse inespérée.

Le principe du jeu s'inspire du karaoké – sauf qu'ici, il ne s'agit pas de simplement chanter. Il faut également suivre les instructions qui défilent à l'écran pour reproduire la musique en actionnant le bitoniau sur le manche d'une guitare en plastique, ou cogner sur une batterie électronique au bon rythme et en plaquant le bon accord. «Pour le moment, les joueurs font semblant de jouer mais, à l'avenir, nous pensons possible que nos jeux leur permettent d'apprendre vraiment à jouer avec un authentique instrument» , prédit Jeff Castaneda. En attendant, MTV Games, associé au studio Harmonix et à Electronic Arts pour la distribution, se réjouit de lancer ce jeu assorti de 45 titres du groupe de Liverpool, dont une partie sera téléchargeable sur les plates-formes des consoles Xbox 360, PS3 ou Wii.

Pour une sortie aussi cruciale, les éditeurs n'ont pas mégoté. Chaque chanson s'accompagne à l'écran d'une représentation synthétique sobre et de bon goût de Paul, John, George et Ringo tandis qu'en arrière-plan, un décor met l'ambiance : la salle sombre et enfumée de la Cavern à Liverpool peuplée des fans de la première heure, le plateau électrique du Ed Sullivan Show où les Beatles firent une apparition remarquée, ou l'atmosphère survoltée du Shea Stadium à New York. Mais comme tous les morceaux ne se prêtent pas à une version live ( Octopus's Garden ou Yellow Submarine par exemple) d'autres décors ont été prévus, comme les mythiques studios d'Abbey Road ou encore un enchevêtrement superbe de dessins psychédéliques rappelant ce que les Beatles doivent à divers puissants psychotropes. Comme il s'agit quand même d'un jeu, il s'agira aussi de progresser pour débloquer divers bonus, parmi lesquels des extraits audio de conversations ou des sessions d'enregistrements.

Au-delà de ce joli coup, il y a dans cette affaire le symbole d’un secteur qui s’impose comme le fer de lance de l’industrie du divertissement. Depuis quelques années, et plus encore depuis le triomphe des consoles Nintendo (Wii au salon et DS dans la poche), le jeu a adouci son image. Avec un jeu, on entretient sa mémoire, on garde la ligne, on apprend à parler anglais ou à faire la cuisine. Les consoles s’invitent dans les maisons de retraite et les petites filles, jadis notoirement allergiques à l’exercice, se précipitent à présent sur les centaines de titres conçus à leur usage. Tout le monde joue, et l’image de l’ado psychotique qui triture frénétiquement sa manette pour éventrer des zombies pendant que ses parents se demandent s’il faut appeler les urgences psychiatriques est un cliché qui tend à s’estomper. Même si c’est pour donner vie à une autre fantasme, plus consensuel : le jeu vidéo transgénérationnel qui réunit la cellule familiale. Et l’industrie, qui apprend vite, a bien compris que la musique constituait le meilleur vecteur de cette touchante harmonie générationnelle.

Avec Rock Band et Guitar Hero , chaque nouvel opus s'écoulant à plus d'un million d'exemplaires, les morceaux de Metallica, d'Aerosmith, Jimi Hendrix, Van Halen ou ceux de centaines d'autres groupes ont trouvé de nouveaux et très rentables débouchés commerciaux. Mais les fans de tous ces groupes, comme ceux des Beatles, sont aujourd'hui des adultes et ils ont des enfants, voire des petits-enfants. Tout ce petit monde est donc convié à chanter les succès immortels devant la télé du salon. Même Papi, qui était à l'Olympia en 1963 pour y voir les Fab Four en première partie de Sylvie Vartan, s'y croira à nouveau.

Paru dans Libération du 9 septembre 2009

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