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Libération

Big Brother et ses petits frères

Web. L'exploitation des données personnelles vue par des Net-artistes.
par Marie Lechner
publié le 23 février 2008 à 2h27
(mis à jour le 23 février 2008 à 2h27)

«Personne ne vous connaît aussi finement que ça, pas même la personne qui partage votre vie», constate Albertine Meunier, Net-artiste, lors de la conférence «Faut-il avoir peur du Web 2.0 ?»à Beaubourg dimanche dernier. Qui est ce mystérieux confident, qui lit en vous comme dans un livre ? Google bien sûr, qui sait mieux que quiconque quels sont vos centres d'intérêts.

Voyeuriste. Depuis 2006, Albertine Meunier publie l'inventaire exhaustif de ses recherches dans le moteur grâce à l'un des multiples outils qu'il propose : Google Search History, qui permet à l'utilisateur d'archiver ses requêtes.Son My Google Search History propose aussi de donner libre cours à son penchant voyeuriste et d'observer au jour le jour les recherches d'Albertine, déclinés comme une liste de mots-clés, récités par une voix de synthèse ou égrenés dans une vidéo. Cette accumulation de requêtes donne une idée assez précise de ses préoccupations. Ce qu'elle a (probablement) mangé à Noël (les deux requêtes du 25 décembre 2007 sont «magret de canard poêlé» et «marmiton») ; où elle habite (29, rue des Sablons, déduit de ses multiples recherches d'itinéraires à partir de cette adresse) ; qu'elle s'est renseignée sur une «demande d'adoption» au «conseil général du Val-de-Marne» le 3 novembre et que, la veille, elle a voulu «louer» puis «acheter» un «vidéo-projecteur» ; qu'elle s'est interrogée sur ce qu'était la «vraie vie» le 6 juillet ; qu'elle aime la «choucroute» et suit de près les nouvelles technologies ; enfin, qu'elle est sans doute une gauchiste patentée («union mondiale de la poule»).

«Affichées de manière cumulative, mes recherches sur le Web délivrent un réel autoportrait, écrit l'artiste. Comme un grand film souvenir, ce long listing me rappelle des (micro) événements de vie.» Mais le projet soulève également des questions concernant notre vie privée et Google. «Il rend visible la quantité incroyable d'informations dont Google dispose sur nous. Vous pouvez à loisir observer mes recherches, livrées à vos yeux, comme le fait Google», note-t-elle. «Si tout le monde publiait ses données confidentielles, ça permettrait de diminuer un peu la puissance de Google», suggère l'artiste.

Veine farceuse. «Nous sommes une communauté planétaire d'hommes et de femmes-sandwichs nus et voyeuristes», constate le Net-artiste David Guez, qui sonde les réseaux sociaux. L'artiste avait distribué lors de la conférence un questionnaire intitulé «Aucune donnée ne sera utilisée à des fins génocidaires», compilant les questions posées par Facebook, Myspace, Orkut. afin d'établir un profil d'utilisateur : orientation sexuelle, religion, opinions politiques, style vestimentaire, questions très intimes auxquelles on répond souvent machinalement malgré leur caractère optionnel. «Initier un compte sur Facebook, c'est décrire de façon précise ce que nous sommes», écrit David Guez. Facebook nous invite à nous mettre à poil devant une entreprise privée «qui n'a d'analyse que celle de la performance monétaire», constate l'artiste aux 206 amis, qui s'est lancé dans «l'élevage de réseaux sociaux», un projet en développement.

Dans une veine plus farceuse, Monochrom, un collectif d'hacktivistes viennois, a mis en scène les dérives de Facebook dans une comédie musicale - MyFaceSpace - lors du gala autrichien des Big Brother Awards. Avec dans le rôle du méchant, l'«Administrator» tout puissant.

«Tout se passe comme si, alors que nous craignons Big Brother, nous confions volontairement des informations les plus intimes à une série de "little brothers", dont le but apparent est de nous faciliter la vie mais qui, discrètement, collectent et enregistrent nos données personnelles», constatent les Belges Michel Cleempoel et Nicolas Malevé, qui compilent sur le site E-traces toutes les informations relatives à la vie privée et à la protection des données. Les deux artistes travaillent à un jeu en ligne - Yoogle! - dont le but est d'analyser «les mécanismes économiques à l'oeuvre derrière les interfaces riantes du Web 2.0 : la spéculation sur les profils, l'exploitation du travail gratuit.»

ExtensionYoogle!, miniature du Web 2.0, permettra d'en découvrir les coulisses. Le joueur pourra endosser tour à tour le rôle des différents acteurs du marché des données personnelles. «En tant que visiteur, il laissera des traces dans les différents services proposés par Yoogle! En tant qu'administrateur, il collectera ces traces pour constituer des profils afin de les vendre à ses clients. Et, pour finir, en tant que client, il achètera les profils à des fins de marketing, contrôle ou surveillance», expliquent les auteurs qui vont prochainement mettre en ligne une extension Firefox qui permettra aux internautes volontaires de mettre leurs surfs à disposition.

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