Birmanie, terre de contrats

par Arnaud Vaulerin
publié le 26 mars 2010 à 18h31

Raconter en images la Birmanie d’aujourd’hui n’est pas une mince affaire. Surtout lorsqu’on s’écarte des sentiers battus de la spiritualité bouddhiste ou du tourisme balisé. Entre Singapour et la Thaïlande, Rangoun et Paris, le journaliste Paul Moreira n’a pas lésiné sur les moyens pour éclairer à nouveau les liens très troubles que la junte birmane entretient avec de grands groupes étrangers. L’enquête qu’il livre montre avec éloquence comment Alcatel Lucent et sa filiale chinoise Shanghai Bell prête son concours actif à la création d’un réseau visant à contrôler les communications électroniques, sinon les censurer. En trois chapitres, Moreira déroule son enquête sur la résistance birmane, les affaires juteuses de la junte et le «poker nucléaire» dans lequel elle se serait lancée pour, coûte que coûte, assurer sa survie.

On n'épiloguera pas sur le premier volet. S'il salue à juste titre le travail d'enquête et d'information du réseau Democratic Voice of Burma , basé à Oslo, en Norvège (qui, selon Moreira, «est à la Birmanie ce qu'était Londres à la France en 1942»  !), la vision qu'il donne de la résistance est un brin succincte. «Les protestations géantes en 2007», lors de la révolution safran, ont donné lieu à des «violences extraordinaires» . Mais de l'aveu même de Birmans, ces troubles étaient sans commune mesure avec les soulèvements de 1988, qui causèrent la mort d'au moins 3 000 personnes. La résistance ne s'est jamais relevée de cet épisode dont Moreira ne dit pourtant mot.

Extrait publié par Bakchich info

Le reste du documentaire est plus convaincant et place Alcatel Lucent dans une position indéfendable. Images d'archives à l'appui, et en caméra cachée, Paul Moreira montre comment le régime sécurise son avenir, notamment via le projet de cyberville Yadanabon . Et comment il soudoie des entreprises étrangères à cette fin. Alcatel Lucent intervient ainsi pour verrouiller les télécommunications. «On déploie des moyens de communication pour faire en sorte qu'ils marchent, tout simplement. […] La façon dont un réseau est exploité ne relève pas de mes prérogatives» , se défend maladroitement Laurent de Segonzac, porte-parole du groupe qui, selon lui, opère comme un simple «consultant technique» . Autre société citée : Total, que l'ONG Earth Right International accusait d'être le principal soutien financier de la junte.

Moreira suit également la trace du tycoon Tay Za. «Intouchable» en Birmanie, mais considéré comme trafiquant d’armes par les Etats-Unis, cet homme d’affaires allié aurait importé du «matériel nucléaire» en 2009. Car la junte birmane pourrait être tentée de pratiquer le chantage nucléaire comme son grand frère nord-coréen.

Les deux Etats ermites ont échangé savoir-faire et technologies et multiplié les rencontres. Moreira finit par conclure que le régime birman pourrait devenir une puissance nucléaire dans la prochaine décennie.

Paru dans Libération du 26/03/2010

Birmanie : résistants, business et secret nucléaire de Paul Moreira

_ Canal +, ce soir à 22 h 25.

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