Pari en ligne : Books à la page

Le Net a changé la donne du pari sportif. Visite du site Betclic basé à Londres et profil du métier de bookmaker, une profession qui monte.
par Christophe Alix
publié le 3 juillet 2009 à 12h53
(mis à jour le 3 juillet 2009 à 13h07)

En ce troisième jour de Wimbledon, ils sont une petite dizaine de permanence dans la salle des marchés du site de paris en ligne Betclic, au nord de Londres. Une petite dizaine de bookmakers – sur les 40 que compte la société française – cotent en direct les principaux matchs du jour au plus prestigieux des tournois de tennis : gagnant du prochain jeu, nombre d’aces et, bien sûr, vainqueur final. Chacun suit l’évolution des enjeux sur cinq à sept paris récurrents, ajuste sans arrêt la cote, cet envers de la probabilité. Leur mission ? Minimiser le risque afin d’optimiser le gain de Betclic face aux milliers de joueurs qui les défient sur la Toile. Presque la routine pour ces «traders du sport», concentrés sur leurs trois écrans : le premier pour regarder le match, le second pour suivre les mises et le dernier qui compile les rapports sur des dizaines de sites concurrents. Un déluge ininterrompu de chiffres et de pourcentages aussi compréhensible qu’un parchemin de sanskrit.

Soudain, la salle s'anime. La Russe Maria Sharapova, gagnante du tournoi 2004, est sur le point de céder face à l'Argentine Gisela Dulko. La Russe sauve quatre balles de match, les compteurs s'affolent. Les cotes font le yo-yo, les mises affluent et le bookmaker clique dans tous les sens. Non sans succès, au terme du match, il a réalisé une marge de 11 % sur les 115 000 euros pariés. Comme très souvent, ces as de la probabilité l'ont emporté. Ce n'est pas toujours le cas : lors de la finale de la Ligue des champions de football, Betclic en a été pour 200 000 euros de pertes sur les 20 millions misés. Les parieurs, surtout espagnols, avaient massivement joué sur le club catalan sans que les mises placées sur l'adversaire Manchester United permettent d'équilibrer la balance. «Le bookmaking est la seule activité dans laquelle on peut réaliser un chiffre d'affaires négatif» , rappelle Nicolas Béraud, PDG et fondateur de Betclic.

Formés durant trois mois avant d’avoir le droit de fixer leurs premières cotes, les bookmakers issus d’une dizaine de pays se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an pour lancer des paris sur près de 25 000 matchs dans 57 disciplines. Agés en moyenne de 25 à 30 ans, ils gagnent 30 000 à 50 000 euros par an, plus un bonus pouvant grimper jusqu’à 30 %, en fonction de leurs performances. Un métier pas de tout repos mais qui séduit de plus en plus, à l’approche de l’ouverture du marché des paris en ligne dans la plupart des pays de l’UE. Prêts ? Pariez.

«Le live est très excitant»

A 24 ans, Damien est nouveau dans le métier. Il est junior odds compiler , coteur junior sur les compétitions de basket, rugby ou volley-ball. Des sports collectifs moins prisés des parieurs que le football ou le tennis, et où il est plus facile de se faire la main. "Je suis français, ce qui veut dire qu'il m'a fallu acquérir la culture du bookmarking que les anglais ont depuis tout petits." Venu à Londres pour travailler dans la finance, ce diplômé d'une école de commerce, formé dans la salle des marché de la Société générale, a dû, crise obligé, élargir le champ de ses recherches. «Ca tombe bien, je suis un passionné de sports, mon loisir préféré est devenu mon métier.» Si aucune filière ne forme au bookmarking, Damien se sert de ses compétences de trader pour coter au plus juste ses matchs. «Un bon book doit avoir un esprit logique, aimer les chiffres et la statistique et savoir calculer très vite et sous pression, confie-t-il. Nos outils ressemblent à ceux des traders financiers, l'excitation y est la même et il faut, là aussi, savoir apprécier le risque en permanence.»

Capable de gérer jusqu'à dix paris en simultané, Damien aime particulièrement les paris en direct. «Les sensations y sont très différentes de la cotation d'avant-match , dit-il. Le live exige une grande capacité de concentration, de l'anticipation et une aptitude à réagir très vite, c'est très excitant même s'il ne faut pas se laisser griser.» Ce jeune froggy très propre sur lui se voit également comme un défricheur. «Dans le pari, on peut créer sa propre offre, inventer de nouveaux jeux. Les possibilités sont presque illimitées, surtout sur le Net.» Après dix-huit mois de bookmarking , il ne confesse qu'un seul défaut à son métier : il a désormais beaucoup de mal à apprécier le sport sous le seul angle du plaisir du jeu : "«La cote est là, dans ta tête, tout le temps. C'est parfois dur de déconnecter.»

«Seul face aux parieurs»

Ex-fan de la Juventus de Michel Platini, Fabrizio est chef du trading desk . Cet italien de 42 ans a été formé aux grilles du Totocalcio. A 28 ans, il quitte sa ville natale de Turin pour un transfert chez les bookmarkers londoniens. Fou de la Juve, cet ancien étudiant en sciences politiques passionné de psychologie sociale se destinait au journalisme. Mais c'était sans compter sa rencontre avec les books anglais qui ont vite compris le profit à tirer de l'expérience sportive de ce passionné de football et de cyclisme. A 18 ans, ce fils de petits commerçants bricole un logiciel pour faire des calculs de probabilités sur les matchs du championnat italien. Les parieurs anglais, qui commencent à s'intéresser au calcio, lui achètent ses cotes. Il les leur envoie par fax, puis décide d'émigrer à Londres bien qu'il ne parle pas un mot d'anglais. Une décision diffcile pour Fabrizio qui ne le regrettera pas. Il travaille d'abord pour des sociétés de paris sportifs par téléphone et même courrier postal avant d'assister, quelques années plus tard, à l'explosion du jeu en ligne. «Ca changeait tout : alors que les paris étaient jusque-là très compliqués et réservés à un monde d'initiés, on s'est mis à faire des paris très simples avec des cotes bien plus élevées. Ca a démocratisé le secteur.» Premier bookmarker embauché chez Betclic en 2005, Fabrizio aime dire que «le book ne vous dira jamais qui va gagner mais qui est sur ou sous-estimé» . Pour lui, le bon coteur n'est pas seulement une machine à engloutir les statistiques mais un fin observateur des comportements humains. «C'est un combat entre ce que le book estime et ce que les parieurs croient. Seul face à des milliers de parieurs, le book doit être capable de l'emporter dans la grande majorité des cas.»

«Va-t-il pleuvoir ou pas ?»

Le très flegmatique Paul Chopin, 29 ans, a le pari dans le sang, l'instinct de celui à qui quelques secondes suffisent pour sentir un match. Tout dans sa vie est affaire de pourcentages au point que quand il se lève, il ne peut s'empêcher de jauger le temps en termes de probabilités. «Va-t-il pleuvoir ou pas ? Quel est mon pourcentage de risques de me faire saucer si je ne prends pas mon imper ? Voilà le genre de questions qui me trottent dans la tête ?» Originaire des Midlands, dans le centre de l'Angleterre, ce fils d'enseignants est entré très jeune dans l'univers des paris. A 16 ans, celui que son chef décrit comme «le meilleur de tous» est déjà assistant d'un de ces bookmarkers indépendants qui prennent des paris en direct depuis les gradins des champs de course. Passionné par tous les sports, «à part peut-être le patinage artistique» , rigole-t-il, aussi prompt à parier sur une course de lévriers que sur un championnat de troisième zone, Paul rêverait de voler de ses propres ailes et d'être un parieur professionnel. «J'aurais peut-être 3% de chances d'y arriver , estime-t-il, trop risqué. Car les données changent lorsque c'est votre propre argent qui est en jeu. J'aime aussi la sécurité et c'est la raison pour laquelle je reste salarié chez un book.» A la différence de quantité de traders qui ne jurent que par la montée d'adrénaline du pari en direct, Paul aime prendre des positions à long terme, jusqu'à un an à l'avance : «On y affirme un vrai choix en synthétisant un très grand nombre de paramètres, cela peut-être très subjectif, l'expertise est plus sollicitée.» Quand il ne cote pas, Paul ne débranche jamais ou presque. «Je lis la presse et regarde les matchs de tennis, je fais la même chose que si je travaillais sauf que je parie pour moi.» Grand lecteur d'écrivains voyageurs, lui aussi aurait aimé être journaliste. Mais il ne se voit plus faire autre chose et se félicite qu'avec le boom des paris en ligne, «l'industrie» , comme il l'appelle, gagne en professionnalisme. «Je veux être reconnu comme un grand coteur et c'est un vrai défi. Il y a de plus en plus d'opportunités dans le métier mais il est également de plus en plus exigeant.»

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