«Borgen» : Birgitte Nyborg, ni soumise

par Isabelle Hanne
publié le 22 novembre 2012 à 18h01

Birgitte est aux manettes depuis deux ans. Deux ans qu'elle jongle avec sa vie professionnelle -- elle est Première ministre du Danemark, forcément c'est prenant - et son quotidien de mère de famille. Séparée de son mari qui plus est, comme le montrait la fin de la première saison. Pour la deuxième qui débute ce soir, la série Borgen nous montre une Birgitte Nyborg (la brillante Sidse Babett Knudsen, lire son portrait ) plus déterminée que jamais, endurcie, un peu détachée de ses idéaux. Rompue aux manœuvres, elle n'hésite plus, parfois, à faire de la politique politicienne.

Chef du parti centriste à la tête d’un gouvernement de coalition, elle doit ménager la chèvre (le parti travailliste) et le chou (les écologistes). Dans les couloirs du Château, qui abrite à Copenhague à la fois le siège du Parlement et les bureaux du Premier ministre, on croise Birgitte et ses aides de camps. Son mentor Bent Sejrø, et le «spin doctor» Kasper Juul, ses vieux démons en ombre portée. On entend les éructations de Svend Åge Saltum, sorte d’avatar danois de Jean-Marie Le Pen, et les murmures des intrigants de tous bords. Petites phrases, trahisons, scandales en dessous de la ceinture… Forcément derrière, on aperçoit les flashes des appareils photos suivis des arrogantes questions des journalistes, parqués dans la salle de presse ou groupés en meute dans les étroites allées du Château. Fascinante arène pour scénaristes que ce lieu unique qui concentre en son sein pouvoir exécutif, pouvoir législatif, et le quatrième pouvoir, les médias.

Dans la série, les journalistes sont assez méprisables, toujours avides de gros coups, reniflant le scandale avec envie. Parangon de ce journalisme bas du front, Michael Laugesen, ancien politicard devenu patron de tabloïd, est guidé par une hargne assez caricaturale. Cette vision du métier est balancée par son extrême inverse, incarné par le joli duo de journalistes Hanne Holm, la vieille routière alcoolo, et Katrine Fønsmark, la poupée blonde opiniâtre. Quoique cette vision-là, un peu Bernstein-Woodward, n’est pas exempte de clichés non plus…

L'autre arène, c'est le coquet foyer familial, où Birgitte paraît moins à son aise. Ses nuits blanches au bureau, le mutisme de sa fille aînée, son ex-mari, Philip, qui refait sa vie… Car cette deuxième saison se focalise surtout sur l'usure du pouvoir, sur le coût du pouvoir, sur les traces qu'il laisse sur l'existence de Birgitte et de sa famille. La série joue sur les lignes narratives, sur leurs parallélismes, leurs bifurcations, leurs intersections. Quand Birgitte est menacée au sein de son gouvernement par un ministre trop envahissant, elle se sent en même temps concurrencée par la nouvelle compagne de Philip. Quand elle tente de régler de complexes enjeux de politique étrangère, elle veut résoudre, à la maison, des problèmes qui la dépassent. Elle le dit elle-même : «Je suis en guerre au travail, je suis en guerre à la maison…» Parfois, à l'inverse, elle fait mouche en politique mais ne voit rien, ne comprend rien à la maison.

Chaque épisode de Borgen , comme les autres séries produites et diffusées par la télé publique danoise DR ( The Killing ), démontre l'importance de placer l'auteur au centre du processus de création. L'intrigue est dense, rythmée, cohérente. Les dialogues bien écrits et réalistes, et les personnages crédibles et habités. On regrette un peu le début de saison, qui piétine un poil. Mais Borgen est vite passionnante, même quand elle parle de la politique ouatée du Danemark, entre séminaires et conférences de presse. Birgitte doit-elle aller à cette réunion ? Ou tout annuler et voir ses enfants ? Répondre à ce coup de fil ? Mettre sa carrière en veilleuse ? «Quelque fois, la politique, c'est trouver le meilleur compromis» , assène-t-elle. A la fois série familiale et série politique, Borgen est avant tout l'histoire d' «une femme au pouvoir» , comme le clame le sous-titre de la fiction, l'histoire d'une femme face à ses choix.

Paru dans Libération du 22 novembre 2012

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- « Borgen », la petite série reine

- Les experts Copenhague

Borgen

_ Série créée par Adam Price

_ 1, 2 et 3/10, à partir de ce soir sur Arte à 20 h 50.

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