Chaque jour, plus de 30 000 personnes visitent bouletcorp.com . A cette adresse, ils suivent les aventures rocambolesques de la vie de Boulet, Gilles Roussel au civil. Un jour de juillet 2004, le jeune dessinateur décide de s'essayer au blog. Depuis, plusieurs fois par semaine, il fait dans l'autofiction dessinée. Des petites histoires drôles basées sur son quotidien (au hasard : les dédicaces, le spam et la raclette), servies par une mise en scène relevée et une bonne pincée d'autodérision. Il est devenu, depuis, la référence des blogs BD français et dessine maintenant pour la série Donjon aux côtés de Joann Sfar et Lewis Trondheim. Un premier tome tiré du blog vient de paraître dans la collection Shampooing gérée par Trondheim (1). A l'occasion de la parution de ses Notes et du festival de blogs BD qui se tient ce week-end, nous avons proposé à Boulet une rétro-interview. Nous sommes en septembre 2004…
C'est quand même une drôle d'idée, de lancer un blog...
_ En fait, ça va plutôt un peu de soi... J'ai plein de BD que je dessine pour moi, pour les copains. Elles restent dans des carnets, parce qu'il n'existe pas vraiment de structure pour les diffuser au jour le jour. C'est un peu l'idée, ce blog, ça me permet d'avoir un journal en ligne !
C'est un truc confidentiel entre potes ou une tribune publique ?
_ Au départ un truc entre potes, on se répond avec quelques amis ( Mélaka , Libon et Capucine ). Mais petit à petit, si il y a de plus en plus de lecteurs chaque mois, il faudra sortir de la bulle du privé !
De quoi allez-vous parler ? Pas de gastronomie savoyarde, je suppose ?
_ Je n'aurais pas grand-chose à raconter là-dessus, et je ne vois pas qui mes raclettes intéresseraient ! Non, je pense plutôt raconter tout et rien... Chercher le ressort comique dans le quotidien sans faire de l'autobiographie. Le seul comique qui me fasse vraiment rire quand je l'entends à la radio, c'est le regretté Pierre Desproges, j'aimerais bien arriver à une liberté de ton comparable, faire des billets d'humeur, pas raconter ma petite vie !
L'auto fiction est un exercice de style délicat, mais très adapté au blog. Si on réfléchit un peu sur ce support, il en ressort plusieurs choses: une ligne temporelle très importante, une relation souvent directe avec le lecteur, et la possibilité de mêler texte, image, son et même vidéo. Ce n'est pas un hasard si le blog a remplacé le site perso, qui avait tendance à ressembler à un CV fantaisiste. Le blog ne devient obsolète que si on l'arrête, en gros on passe du film au feuilleton. Ca conduit naturellement plein d'internautes à donner dans l'autobiographie et le journal intime, au vu et au su de tout le monde (je ne sais plus qui avait employé la jolie formule de “journal extime” pour exprimer ça).
Il y a d'autres utilisations possible de ce support, je verrais bien des gens comme Marion Montaigne s'en servir pour faire une rubrique scientifique une ou deux fois par semaine, ou alors un personnage virtuel qui raconterait sa vie, comme Maliki ... Ou bien des gens comme les Chicou-Chicou pourraient se lancer dans un grand cadavre exquis à plusieurs mains !
Et vous pensez ça va intéresser beaucoup de monde ?
_ On verra bien ! Je pense qu'il y a un public qui s'ignore, pour ce support. Ce ne seront pas forcément des fans de BD, mais des gens qui liront ça du boulot. Des gens de ma génération qui se reconnaitront plus facilement dans ce que je raconte. Le fait que ce soit dessiné sera important, mais ils n'accorderont pas forcément d'attention au dessin, le propos va largement dominer.
Vous l'imaginez comment, dans quatre ans ?
_ Je pense que graphiquement, j'aurai pas mal évolué. Sans doute qu'à force, je m'appliquerai plus, j'ai du mal à ne pas fignoler les dessins ! Mais, du coup j'y passerai plus de temps, ça deviendra une partie plus importante de mon travail. Sinon, d'aspect, j'espère garder le même esprit mais qu'il soit plus soigné, et plus léger dans sa navigation !
Vous pensez que ce genre de "hobby” peut vous aider dans votre carrière ?
_ Peut-être surtout que ce “hobby” deviendra une partie de ma carrière. Après tout, après plusieurs années, pourquoi le voir comme un hobby ? Ceci dit, ça permettra sans doute, au vu de la facilité d'accès, à d'autres auteurs et d'autres éditeurs de connaitre mon travail !
Pour l'instant, peu de dessinateurs ont fait la même démarche que vous. Pensez-vous que ce format de publication peut se populariser, dans les années qui viennent ?
_ Je pense que c'est un format qui s'apparente à la radio libre: si n'importe qui peut diffuser n'importe quoi, il va se passer une chose inévitable: n'importe qui va effectivement diffuser n'importe quoi...
Je pense que ça va représenter une aubaine pour beaucoup de jeunes dessinateurs. Tout le monde pourra bénéficier de sa petite vitrine, et, par le biais des commentaires et des liens, se créer un petit réseau. Donc oui, il y a de fortes chances pour que ce soit un véritable raz-de-marée !
En revanche ce format a ses particularités: la ligne temporelle, donc, et la relation directe avec le lecteur. Ca va générer de curieux paradoxes: de très bons dessinateurs vont sans doute s'y mettre sans aucun succès parce qu'ils ne seront pas à l'aise sur ce support, alors que des jeunes dessinateurs complètement inconnus vont avoir un succès fulgurant sur Internet parce qu'ils excelleront dans le domaine.
Des internautes que vous ne connaissez pas vont pouvoir laisser les commentaires qu'ils veulent sur vos dessins, ça ne vous fait pas un peu peur ?
_ Il faut relativiser tout ce qu'on lit sur internet... Les propos, qu'ils soient élogieux ou injurieux sont toujours exagérés, parce qu'il y a l'anonymat, la sécurité de cette barrière qu'est l'écran. C'est le contexte idéal pour faire surgir toutes les frustrations. Tout le monde est mis au même niveau, par écrit. Comment savoir si l'injure proférée l'est par un adulte raisonnable ou par un ado de 13 ans qui veut se faire sa petite montée d'adrénaline ?
_ Quand les propos seront outrancier, je n'y répondrai pas, voilà tout. Quand il y aura un débat de fond, j'y participerai avec plaisir.
Ce blog, c'est pour en faire un album un jour?
_ Non, pas du tout. Pour ce départ j'essaie de changer radicalement de support. Aucune page n'est conservée en haute-définition nécessaire à l'impression. Les pages ne sont pas faites non plus à un format unique, ni avec la même technique. C'est vraiment de l'expérimentation.
Cela dit, étant très attaché à la structure “carnet” (vu que je dessine toujours dedans), ça finira bien par prendre une forme. Peut-être que les histoires seront plus structurées, plus réfléchies. Et d'ici 2007-2008, quand j'aurai beaucoup de matériel, il sera temps de l'envisager... Mais pour l'instant, je n'y pense pas, et j'y suis plutôt farouchement opposé!
(1) Notes, Tome 1 - Born to be a larve , Boulet, Delcourt, collection Shampooing, 192 pages, 12,90 euros. Sortie le 10 septembre.
Paru dans Libération du 27/09/2008