«C'est terrible. Sur Wikipédia, ils ont déclaré que ma mère était communiste alors qu'elle ne l'est pas. J'ai fait ce que j'ai pu pour que ce soit corrigé, ils ne veulent pas, c'est scandaleux. Je me demande si je ne vais pas les attaquer au tribunal.» Pauvre Thierry Ardisson, qui racontait ses déboires mercredi sur France 2 . Si garder le contrôle de son image en ligne est difficile pour l'internaute lambda, qui galère à «détagger» des photos compromettantes sur Facebook, c'est carrément une autre paire de manches quand on est assez célèbre pour faire l'objet d'un article sur l'encyclopédie.
On ne compte plus les people offusqués par le portrait qu'on leur croque, comme Patrick Bruel, vexé qu'on dise que son vrai prénom est Maurice… Mais crier à la diffamation ou menacer de procès est inutile, car les rédacteurs qui ont ajouté l'information litigieuse dans l'article se sentent dans leur bon droit : ils l'ont souvent déniché dans un article de presse, qu'ils ont d'ailleurs cité dans la section «Références». Pour que l'erreur soit corrigée dans le respect des règles, il faudrait que l'intéressé la signale publiquement et offre aux internautes une nouvelle source qui pourra remplacer ou compléter la précédente. Mais, faute de savoir comment fonctionne le site, beaucoup tentent de faire passer de force leur version des faits. En enjolivant un peu leur carrière, tant qu'à faire. Les guerres d'édition qui s'ensuivent sont cocasses. «Référence nécessaire !» martèle le wikipédien rigoureux, pour qui rien n'est vrai si ce n'est pas cité dans «deux publications espacées d'au moins deux ans dans des médias d'envergure nationale» . «Je me permets de valider les informations, répond la célébrité, car je suis bien placé pour le faire !» Et ça corrige d'un côté, et ça annule de l'autre, jusqu'à ce que l'un des deux se lasse (mais ce n'est jamais le wikipédien).
Plus sournoises, certaines entreprises font de l'encyclopédie leur vitrine publicitaire en influant subtilement sur le style des phrases de l'article. «Un service client se voulant exemplaire» , des «grands crus de la plus haute qualité» … Autant de tournures aujourd'hui disparues mais qui laissent un souvenir amer à ceux qui n'ont rien vu du petit manège du service communication de Nespresso pendant des mois.
L'enjeu pour les entreprises est crucial : Wikipédia se positionne souvent mieux que leur site officiel dans les résultats Google, et emporte la préférence des lecteurs en quête d'informations. Mais les petites mains wikipédiennes sont sourdes aux intérêts des puissants. Elles ne jurent que par les nobles concepts de « vérifiabilité » et de neutralité de point de vue . Pas de bol.
Paru dans Libération du 14 janvier 2011