C’est la lutte virtuelle, tweetons tous et…

par Marie Lechner
publié le 14 mars 2011 à 9h36
(mis à jour le 14 mars 2011 à 10h36)

«Laissez tomber votre activisme de rue démodé, vos manifestations et mégaphones. Plus besoin de battre le pavé. L'activisme peut être mené confortablement depuis votre canapé.» Après Repetitionr.com -- qui permettait à chacun de créer sa pétition et de générer jusqu'à un milliard de fausses signatures plus vraies que nature afin de peser de tout son poids numérique sur les démocraties --, les Liens invisibles complètent le kit du parfait e-révolutionnaire, avec Tweet4Action.com . Ou comment soulever les foules en 140 caractères, sans bouger de chez soi ni prendre de risques inutiles.

«Créer sa propre insurrection est devenu un jeu d'enfant.» Il suffit de se loguer sur Twitter, de décrire ce contre quoi on proteste, et de géolocaliser l'action sur une carte. Puis, élément décisif dont dépendra le succès de l'opération, il vous faut propager votre campagne sur Twitter avec un hashtag (mot-clé) bien senti. Chaque tweet posté utilisant ce mot-clé va accroître le nombre d'avatars à l'endroit choisi pour le défilé virtuel.

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A la différence des cybermanifs classiques en ligne, ici les icônes de manifestants apparaîtront en réalité augmentée sur le lieu physique. Ils seront exclusivement visibles à travers l'écran de votre smartphone, doté de l'application Layar , telle une hallucination numérique surimposée sur le réel. Pratique si vous choisissez de faire une manifestation au pôle Sud (#t4asouthpole) pour «apporter la démocratie à ces endroits froids et inhabités indifférents aux yeux du monde» . Des campagnes virtuelles qui dépendent de votre talent à mobiliser votre réseau social. Et qui auront sans doute peu d'effet sur le cours des événements, puisque jusqu'ici, on n'a pas encore vu de régime tyrannique renversé par des avatars aussi énervés soient-ils.

«Les deux projets questionnent le même genre de "slacktivisme" [activisme flemmard, ndlr], ils jouent tous deux avec l'hallucination collective créée par les réseaux sociaux et amplifiée par les médias traditionnels» , constatent le duo d'artistes italiens, qui critique non les réseaux sociaux mais le décalage entre la «perception exagérée» que nous en avons et leur efficacité réelle. «Si l'on regarde les faits, seuls 5,5 % des Libyens sont connectés au Net, très insuffisant pour créer une masse critique pour une insurrection. Les révolutions existaient bien avant l'Internet et les médias sociaux, et nous ne pensons pas qu'il faille créditer Twitter et Facebook pour ces événements, ce sont juste des gens qui veulent changer l'histoire, agissant avec leur corps plus qu'avec leur clavier.»

Les initiateurs de Seppukoo.com , qui incitait les gens à suicider leur compte Facebook -- un projet présenté en ce moment dans l'exposition en ligne «Side Effects, Identités Précaires» au Jeu de Paume -- savent par expérience de quoi ils parlent. Facebook avait bloqué leur site et menacé les auteurs de poursuites légales .

«Il faut garder en mémoire que ces réseaux sociaux ne sont pas des espaces publics ou des dons de Dieu pour l'humanité, mais des services commerciaux qui, sporadiquement, concordent avec les intérêts politiques , estiment-ils. Plus que le médium lui-même, c'est l'utilisation sociale, créative et tactique de ce dernier dans un contexte spécifique qui fait la différence.»

Paru dans Libération du 12/03/2011

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