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Libération
Interview

«C’est plus Internet qui menace la presse»

Monique Dagnaud, sociologue et directrice de recherche au CNRS :
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 octobre 2009 à 0h00

Monique Dagnaud est sociologue et directrice de recherche au CNRS. Ancienne sage au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), elle travaille notamment sur la télévision, la presse, la publicité et la consommation culturelle chez les jeunes. Elle tient également un blog sur les médias (1). Dans un récent billet sur la crise de la presse, elle écrivait : «Sale temps pour la presse. S'installer devant son café le matin en dépliant son journal est devenu un geste rustique.» Entretien.

Le Kindle est-il une chance pour la presse ou une menace ?

Ça va énormément dépendre des rapports économiques entre les groupes qui fabriquent les livres électroniques et les groupes de presse. Mais tout ce qui permet une meilleure circulation est plutôt favorable à l’écrit, donc à la presse. Ce n’est pas une menace en soi. Le rapport du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles montre que le cœur de cible de la presse, c’est-à-dire les cadres, les diplômés, les professions intellectuelles, est totalement dans l’utilisation du Net, que ce soit pour travailler ou s’informer. 30% de cette fameuse catégorie supérieure lit régulièrement la presse quotidienne, autant ou presque qu’en 1997. Elle a un tropisme pour l’écrit, mais elle est aussi la première utilisatrice du Net : 80% de cette population a déjà téléchargé de l’écrit.

Les rapports économiques sont très défavorables à la presse : pour les abonnements à des journaux sur Kindle, Amazon reverse 30% à l’éditeur et garde 70%…

A-t-on vraiment besoin d’un tel outil pour lire la presse, alors qu’on peut la lire très facilement sur un écran d’ordinateur ? Je pense que le Kindle est plus destiné au livre, qu’on peut difficilement lire sur un ordinateur. Ce qui menace la presse écrite, c’est plus Internet. En même temps, on voit aujourd’hui des sites d’information se mettre au papier pour survivre.

Vous pointez une avidité pour l’information sur le Net alors que la presse papier est en crise…

Il y a une diminution de l’habitus. Il y a vingt ou trente ans, c’était un rituel des intellectuels que d’acheter un journal. Ce rituel s’est affaibli en raison du Net. Et on est devenu saturé d’informations avant même d’avoir eu le temps de descendre acheter son quotidien.

Est-ce qu’à plus ou moins long terme, les quotidiens imprimés sont amenés à disparaître ?

Il y a quand même une partie de la population qui aime avoir le cadre de référence que représente un quotidien généraliste, avec l’ensemble des informations et une hiérarchie. Il y a encore ce besoin, et il y aura toujours besoin d’une information de haut niveau qui coûte cher à produire. Mais les pratiques culturelles évoluent tellement avec le Net. Internet transforme le rapport à l’écrit : nous nous y livrons à ce qu’on appelle «des explorations curieuses». C’est la sérendipité : nous trouvons quelque chose que nous ne cherchions pas au départ, avec un résultat jouissif. Quand vous ouvrez un journal papier, vous savez à quoi vous attendre ; sur Internet, il y a l’exploration curieuse, c’est très important, notamment chez les jeunes. Ça modifie les plaisirs culturels. C’est un peu le plaisir du zapping, mais surmultiplié par Internet.

(1) www.telos-eu.com/fr/user/monique_dagnaud

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