«C’est un véritable test de popularité»

John Lloyd, spécialiste des médias, s’interroge sur l’impact des scandales auprès du public.
par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 19 novembre 2012 à 13h46

La «Beeb» n'en est pas à son premier scandale. En 2003, déjà le rapport Hutton avait pointé des failles au sein de la BBC après qu'un journaliste a accusé le Premier ministre, Tony Blair, d'avoir exagéré la menace irakienne pour justifier le recours à la force auprès du public. L'informateur de la BBC, un expert en armes de destruction massive, conseiller du gouvernement s'était suicidé. Plus globalement, les médias britanniques ont été secoués ces dernières années, avec l'affaire des écoutes qui a touché les tabloïds de Rupert Murdoch (l'enquête Leveson est en cours), avant que la BBC ne soit frappée par les scandales Savile puis Newsnight (lire l'article). John Lloyd, qui dirige le Reuters Institute for the Study of Journalism à l'université d'Oxford, analyse ce marasme.

Les médias britanniques subissent-ils une sorte de crise de conscience entre l’enquête Leveson sur les écoutes illégales et le scandale qui touche la BBC ?

_ Non, je pense que les deux crises n’ont rien à voir. L’enquête Leveson a mis en lumière une culture fondée sur des enregistrements illégaux, des pots de vin, de la corruption, pratiqués essentiellement par les tabloïds - la presse la plus puissante dans ce pays. Des pratiques que la plupart des journalistes des autres médias ignoraient. Dans le cas de la BBC, il s’agit bien plus d’un problème de culture interne. Même si les tabloïds boivent du petit-lait depuis la révélation du scandale. Il y a pour eux une certaine satisfaction à voir la «sainte BBC» faillir. D’autant qu’elle a un peu joué les mères-la-vertu dans la couverture de l’enquête sur les écoutes.

N’est-ce pas paradoxal que la BBC chancelle à cause de Newsnight, l’un de ses plus sérieux et prestigieux programmes ?

_ Newsnight n’est plus le programme phare qu’il a été pendant un moment. Les chiffres d’audience ont baissé. Et il y a deux affaires Newsnight. Dans le premier cas de figure, en décembre 2011, le rédacteur en chef avait décidé de ne pas diffuser le reportage accusant Jimmy Savile de pédophilie, en estimant que certains témoins pouvaient ne pas être fiables. Il s’est montré très, trop confiant, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose lorsqu’on veut produire une émission de qualité. Le problème est que ces accusations étaient véridiques. Et je ne pense pas qu’il y ait eu des instances supérieures qui ont réclamé d’étouffer le reportage. Dans le deuxième cas, c’est bien plus grave. Les responsables n’ont pas voulu être accusés d’étouffer une nouvelle affaire de pédophilie. Ils ont donc diffusé le reportage, sans procéder à des vérifications d’usage basiques. Et là, les accusations étaient fausses.

La BBC n’en est pas à sa première crise, comment va-t-elle s’en sortir ?

_ Dans un sens, l’affaire Hutton était plus importante, il s’agissait de sécurité nationale, de guerre et un homme, conseiller scientifique du gouvernement, s’est suicidé. Mais, à l’époque, les sondages ont montré que le public se rangeait du côté de la BBC. En raison de la forte opposition à la guerre en Irak, il préférait blâmer Tony Blair et son gouvernement. Dans le cas présent, il n’y a que la BBC à blâmer, personne d’autre. Et les crimes de pédophilie avérés sont odieux. Il s’agit d’un véritable test de popularité pour la BBC, notamment après le succès de sa couverture des Jeux olympiques. La BBC est tellement ancrée dans la psyché britannique que, finalement, cette histoire de pédophilie est bien plus dommageable en termes d’affection du public.

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