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Libération

CNN, chute en continu

par Alexandra Geneste
publié le 29 avril 2010 à 10h10

Le 12 avril, les quelque 4000 employés de CNN ont découvert un message du président de la chaîne dans leur boîte mail. «Une partie de notre entreprise traverse des difficultés, ce sont les programmes de CNN aux États-Unis diffusés à heure de grande écoute» , affirme Jim Walton, avant d'expliquer : «Ces programmes ne sont qu'une partie très visible du puzzle. Leurs revenus publicitaires représentent moins de 10% de tous nos revenus au niveau mondial ; les 90% restants proviennent de programmes diffusés à toute heure sur l'ensemble du réseau.» Entendez toutes les déclinaisons étrangères de CNN ou son site web, dont les performances sont sans cesse croissantes. La clarification s'imposait. Car deux semaines plus tôt, l'institut Nielsen Media Research révélait une chute de 40% de l'audience des talk-shows en prime-time de CNN lors du premier trimestre 2010, par rapport à 2009.

À deux mois de célébrer le trentenaire de la «marque» CNN, la nouvelle a jeté un froid. Ce déclin ne fait pourtant que confirmer une tendance entamée depuis plusieurs années. «Nous recevons des informations quasiment par osmose. Avec Internet, l'information est partout , fait remarquer Michael Wolff, fondateur du site d'actualité Newser.com . Le consommateur peut désormais choisir ses sources d'information, il n'est plus tributaire d'une seule d'entre elles.» Après avoir été révolutionnaire pendant deux décennies, la chaîne d'info en continu est à la peine ces dernières années, en dépit de son statut de média le plus respecté aux États-Unis. L'avènement de Google combiné à la montée en puissance de la rivale Fox News, qui a fait le pari d'être «ultra-engagée ou rien» , sont autant de circonstances aggravantes pour CNN.

Les premiers mois de l’année ont eu beau être marqués par une actualité forte -- séisme en Haïti et vote de la réforme de la santé --, rien n’y a fait. Première victime de l’apparent désenchantement des téléspectateurs: ce bon vieux Larry King, qui a perdu 43% de ses fans par rapport à 2009, et 52% rien qu’en mars. Et la jeune garde, plus offensive, n’est pas épargnée. Anderson Cooper, supposé être la star montante de la chaîne, a vu son taux d’écoute chuter de 42%.

Au siège de Fox News, à Manhattan (New York), on se frotte les mains. La chaîne de Rupert Murdoch n'a jamais réalisé d'aussi bons scores. Sa clique de tribuns populistes, à savoir Glenn Beck, Sean Hannity et Bill O'Reilly (lire l'article), ont, pour certains, vu leur audience doubler en l'espace d'un an. Avec 3,65 millions de téléspectateurs, The O'Reilly Factor fait cinq fois mieux que Larry King live. L'Amérique aurait-elle viré conservatrice ? «Gare aux conclusions hâtives , prévient Tom Rosenstiel, le directeur du «Projet pour l'excellence en journalisme» du Pew Research Center. Les chaînes d'information sont une "niche", elles n'attirent qu'une infime partie de la population, des accros de la politique pour la plupart. Quatre fois plus d'Américains regardent le traditionnel '6 o'clock news' des grands networks ABC, CBS et NBC.»

Quid du succès grandissant des talk-shows ultraconservateurs qui font du bashing anti-Obama leur raison d'être ? «Sous George W. Bush, la revue libérale The Nation faisait un tabac, idem pour la revue d'extrême droite The American Spectator sous Bill Clinton» , rappelle Tom Rosenstiel, avant de préciser que la part d'audience cumulée de CNN, avec ses deux chaînes d'information, reste plus importante que celle de Fox News. D'où la possibilité pour celle qui met un point d'honneur à rester «neutre» de continuer à vendre ses espaces publicitaires au prix fort, contrairement à sa rivale conservatrice.

Toutefois, les experts sont unanimes : si la chaîne de Ted Turner ne veut pas toucher le fond, il lui faut sérieusement revoir sa stratégie. Entre les radicaux de Fox News qui galvanisent les foules avec leur discours antifédéral et les libéraux de MSNBC qui, par la voix de la féministe Rachel Maddow, rameutent les progressistes déçus et frustrés, l'heure est au militantisme sur les ondes américaines. C'est ce que certains appellent grossièrement l'ère de l'infotainement, un dangereux amalgame entre l'information et le divertissement auquel CNN semble vouloir résister. «Nous restons la seule voix crédible et non partisane, nous ne nous plierons à aucun agenda politique ou idéologique. C'est l'histoire que nous raconterons demain. Et c'est une bonne histoire» , a fait savoir Jim Walton la semaine dernière à un parterre d'annonceurs publicitaires.

Paru dans Libération du 28 avril 2010

De notre correspondante à New York

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