Canal+ en pleine crise d’Autorité

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 4 juillet 2012 à 18h01

Laurence Ferrari tous les jours. Plus Cyril Hanouna, tous les jours aussi. Peut-être du Christophe Hondelatte, certainement des redifs de Thierry Ardisson et, a priori, du Roselyne Bachelot en sus. Franchement, ça fait pas rêver, Direct 8 version Canal+? Si, hein.

S’il vous plaît, petit Jésus Bruno Lasserre, soyez cool: faites que le téléspectateur soit inondé de cette munificence. Bruno qui? Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence et dont il n’est pas exclu qu’une poupée à son effigie soit régulièrement lardée d’aiguilles dans les bureaux de la direction du groupe Canal+. Car c’est à ses lèvres, à Bruno Lasserre, qu’est suspendu le rachat de Direct 8 par Canal+. Et pas seulement, puisque l’Autorité de la concurrence a également sur le feu le dossier du rachat de TPS par Canal+, retoqué en septembre et assorti d’une gentillette amende de 30 millions d’euros, et ça se passe moyen.

Lundi, toute la journée, de Bertrand Méheut à Rodolphe Belmer, les huiles du groupe sont passées sur le gril de l’Autorité pour défendre leur biscuit sur Direct 8 et Direct Star. Le tout en trois étapes: d’abord l’Autorité de la concurrence expose son point de vue et ses griefs, ensuite des témoins, par exemple des concurrents de Canal+, sont appelés et enfin le groupe se défend dans des plaidoiries. Sur Direct 8 et Direct Star, on sera fixé d’ici au 20 juillet. Et d’ici au 24 juillet pour TPS.

Direct 8 d'abord (la musicale Direct Star est dans le lot, mais ne semble pas être un enjeu). Le 8 septembre, l'annonce a fait son petit effet: le groupe de Bertrand Méheut met la main sur les deux chaînes de Vincent Bolloré et, pour la toute première fois, va s'essayer à la télévision gratuite. D'emblée, l'Autorité de la concurrence sourcille: «L'opération soulève des doutes sérieux d'entraves à la concurrence.» Et, du coup, engage un «examen approfondi» . Ce que craint le grand gendarme du libéralisme ? Que Canal +, déjà en cheville avec cinq des sept grands studios de cinéma américains pour approvisionner ses chaînes payantes, élargisse le deal au gratuit. Exemple : aujourd'hui, la série Desperate Housewives est diffusée en exclu et en payant sur la chaîne cryptée, puis en gratos sur M6. Qu'est-ce qui empêcherait Canal + de mettre la main sur toutes les diffusions de la série, payante et gratuite, privant ainsi la Six des Desperate Housewives ? A part Bruno Lasserre, personne.

L’autre point d’achoppement entre l’Autorité de la concurrence et Canal +, c’est le catalogue de films StudioCanal et ses 5000 titres. Canal + ne serait-elle pas tentée de faire bénéficier Direct 8 de gentilles ristournes et de fermer son catalogue à TF1, M6 et les autres ?

Pas folle, la chaîne cryptée a pris les devants et proposé, en guise de patte blanche, une série d'engagements à l'Autorité de la concurrence. Du style : juré, Direct 8 et Direct Star ne seront pas favorisées dans l'accès à StudioCanal. Juré. Ou encore, juré, les achats de droits (y compris sportifs) pour les deux chaînes gratuites seront effectués tout à fait séparément de ceux des chaînes payantes. Résultat : «Les engagements proposés par Canal+ ne suffisent pas», a déclaré l'Autorité de la concurrence. Du coup, ça continue à négocier serré. Canal +, en plus de ses engagements, plaide que son entrée sur le gratuit va apporter de la concurrence dans un marché trusté par TF1 et M6. Sauf cata de dernière minute, le rachat de Direct 8 et Direct Star devrait être autorisé. Bruno Lasserre a dans sa besace trois solutions : l'interdiction de l'opération (ça ne s'est jamais vu), l'autorisation simple et l'autorisation sous conditions. C'est vers celle-ci que penche l'autorité avec deux options : soient les conditions sont négociées à l'amiable ; soit elles sont imposées de force. Chez Bruno Lasserre, on appelle ça «des remèdes» . Rires.

L’autre dossier qui pourrit les vacances de Canal +, c’est donc TPS, et il est nettement plus coton. Après la maousse amende de septembre, l’Autorité de la concurrence a déclenché en mars une enquête approfondie jugeant que Canal + n’avait pas respecté 10 des 59 engagements pris en 2006, après le rachat du bouquet satellite rival. Là, chez Bruno Lasserre, on l’admet : il y a rapport de forces. D’autant que Canal + semble ne pas vouloir bouger d’un orteil. La semaine dernière, finalement, le groupe se décide à proposer des engagements, notamment autour de la limitation des accords avec les studios, la participation de Canal + dans Orange Cinéma Séries, la distribution des chaînes thématiques ou la VOD. Encore insuffisants, juge-t-on à l’autorité, mais on avance. Et la solution extrême, gentiment prêchée par les rivaux de la chaîne cryptée, à savoir la séparation de Canal + et de CanalSat, est déjà écartée.

Il faut dire que le groupe ne s'est pas privé de rappeler que tout «remède» qui raboterait son chiffre d'affaires entraînerait mécaniquement une baisse du financement du cinéma français… Mais l'autorité n'a pas encore écarté une solution qui obligerait Canal + à ne plus gérer directement les abonnements à CanalSat quand ceux-ci passent par d'autres distributeurs comme Orange, Numéricable, etc. Et comme ces derniers ont déjà leurs propres offres, ils n'auraient pas des masses envie d'aller vendre celle de CanalSat. Une solution qui fait pousser des hauts cris à la chaîne cryptée. Si l'autorité et Canal + ne se mettent pas d'accord, la première pourra balancer des injonctions à la seconde. Sauf si, au bout du bout, le gouvernement et en l'espèce le ministère de l'Economie, décidait, en cas de péril pour l'entreprise ou l'intérêt national, de passer outre la décision de l'autorité. «L'évocation» , ça s'appelle ; au moins, on aura appris des mots rigolos.

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