Canal+ se paye du gratuit

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 8 septembre 2011 à 17h42

27 ans après sa création en 1984, Canal+ se lance dans un nouveau métier: la télévision gratuite. La chaîne cryptée vient en effet tout juste d'annoncer qu'elle allait racheter 60% de Direct 8 et Direct Star, les deux télés du groupe Bolloré.

Le mouvement est majeur et risque de secouer durablement le cocotier du PAF: vu les moyens du groupe Canal+, les deux chaînes risquent de faire du mal à la concurrence, à commencer par les filiales de TF1 (TMC et NT1) et M6 (W9), mais aussi directement aux maisons-mères au premier rang desquelles la Une qui, depuis le lancement de la TNT, a vu son audience perdre pas loin de dix points, passant de 32,3% de parts de marché en 2005 à 23,4% en août dernier.

On ne sait pas encore ce que Canal+ va faire des deux chaînes (ni si Jean-Marc Morandini, tête de gondole de Direct 8, doit déjà prendre rendez-vous à pôle Emploi), mais il suffit de regarder du côté de Canal 20. Canal 20? C'est le projet monté par le groupe crypté pour son canal bonus. Qué canal bonus? Celui auquel ont droit les chaînes historiques (TF1, M6 et Canal+) en récompense de n'avoir pas trop renâclé à basculer sur la TNT. Au printemps dernier, Canal+ annonçait la couleur de son bonus: Canal 20, une chaîne gratuite au grand dam , évidemment, de la concurrence à commencer par TF1. Laquelle, fumasse, s'est attelée à un intense lobbying contre les canaux bonus. La Une ayant l'oreille du chef de l'Etat, l'opération était même sur le point d'aboutir avec l'érection d'un superbe écran de fumée: la norme DVBT-2. Le gouvernement a en effet écrit à Bruxelles pour l'informer de l'arrivée en France de cette nouvelle norme technique. Norme qu'aucun décodeur TNT, ni aucun téléviseur actuellement en vente ne peut diffuser... Et, c'est ballot, le temps que tout le monde soit équipé, les chaînes bonus devront être repoussées à 2013, au bas mot.

Le projet de Canal 20 avait donc sacrément du plomb dans l'aile. Sauf que Canal+, avec l'opération annoncée aujourd'hui, le rattrape in extremis. Et sauf veto assez improbable du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou des autorités de la concurrence, le groupe va pouvoir bel et bien se lancer dans la télévision gratuite, via Direct 8 et Direct Star. Les programmes qui marchent -- le cinéma et le sport, notamment sur Direct 8 -- devraient être conservés et on devrait voir apparaître sur les antennes pas mal des fictions déjà diffusées, mais en payant, sur Canal+ ; c'est le principe de la "deuxième fenêtre".

Les conséquences de l'opération devraient être multiples. Il ne faudra pas s'étonner, ainsi, de voir TF1 autorisée, en guise de consolation, à faire passer sa chaîne info LCI en gratuit, ainsi qu'elle en a fait la demande auprès du CSA. Du coup, M6 ne tardera pas à demander aussi la gratuité pour, au minimum, Paris Première. Quant à Bolloré qui s'est tourné vers les médias avec Direct 8 ou la presse, il fait là un premier pas vers un désengagement de la télévision où, seul, il ne pouvait plus espérer voir son audience augmenter. Il pourrait se recentrer sur son activité dans les journaux gratuits et surtout sur le géant de la pub Havas.

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