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Libération

Cannes, ambiance fin de séries

MIP. «Experts» qui s’essoufflent, «Cold Case» bientôt refroidi, «FBI» au bord de la disparition… L’avenir des héros du petit écran s’assombrit.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 1er avril 2009 à 6h52

«Je peux enfin aller promener mon chien. » Ainsi parlait hier au MIP TV William Petersen, cheveux définitivement blancs et menton désormais glabre. Gil Grissom, qu'il a incarné neuf années durant dans les Experts, les premiers, ceux de Las Vegas, a quitté la série. Le patron de la police scientifique de Sin City s'est remis au théâtre à Chicago, joue Hamlet en Espagne, s'occupe de sa «femme qui en avait marre de vivre avec Gil Grissom» et sort son chien. Demain peut-être croisera-t-il Jack Bauer de 24 Heures chrono aux côtés de son toutou personnel, Sayid Jarrah de Lost avec son chienchien à sa mère ou Jack Malone de FBI : portés disparus promenant clébard et cafard le long des trottoirs : la série américaine a du plomb dans l'aile.

On a beau arpenter les travées du marché des programmes, rien à faire : le Lost ou les Experts de demain ne sont pas là. Lundi, Richard Plepler et Michael Lombardo, deux des plus grosses huiles de HBO, la chaîne payante américaine réputée pour la qualité de ses séries (depuis Sex and the City jusqu'à The Wire en passant par The Sopranos), n'en menaient pas large, se contentant de répéter qu'il faut «écouter les scénaristes qui ont un point de vue». La belle affaire. Trois séries HBO ont été présentées dont True Blood, déjà diffusé sur les chaînes d'Orange et The Pacific (à venir sur Canal +), resucée de Band of Brothers mais dans le Pacifique au lieu des bocages normands. Seule nouveauté un peu alléchante : How to Make it in America, produit par Mark Wahlberg, une comédie où deux jeunes types bricolent pour tenter d'accomplir le rêve américain.

Trappe. Pour le reste, rien de neuf, et même plutôt un vent mauvais. Cold Case (diffusé sur Canal + et France 2) et FBI : portés disparus (France 2) seraient même sur le point de passer à la trappe. Trop chers et plus assez d'argent chez les networks américains pour continuer de produire ce type de «grosses» séries. En soirée, les grandes chaînes (ABC, CBS, NBC, etc.) sont à plus de dix points d'audience derrière l'ensemble des chaînes du câble (26 % de parts d'audience en 2008 pour les networks contre 36 % pour le câble) et la tendance s'accélère.

Le décrochage est survenu pendant la grève des scénaristes américains : les networks, faute de séries, se sont mises aux redifs et à la télé-réalité, entraînant une migration des téléspectateurs vers le câble. Du coup, les tarifs publicitaires baissent (15 % de moins pour un spot de 30 secondes en prime-time) et les networks taillent dans le gras : les séries. Quand, il y a quelques années, ils diffusaient environ 22 heures de séries inédites par semaine en soirée, le plus prolifique aujourd’hui, CBS, n’en est qu’à 13 heures. Les grandes chaînes produisent moins de séries. En mai 2008, aux derniers Los Angeles Screenings où se projettent chaque année les nouvelles séries, seuls 71 pilotes ont été présentés contre 100 en 2005. A la rentrée prochaine, NBC a d’ailleurs décidé de remplacer sa case de fiction de deuxième partie de soirée par le talk-show de Jay Leno : et hop, cinq heures de séries en moins par semaine et des soirées à 400 000 dollars l’heure au lieu de 4 millions pour une série.

Pour les séries toujours à l'antenne, on gratte de toutes parts : on tourne au Canada où l'on travaille pour moins cher (c'est le cas de la deuxième saison de Fringe, la série des créateurs de Lost), on réduit le nombre d'épisodes par saison et on ne conserve que ce qui marche déjà, comme les Experts, qui continuent d'être la meilleure audience de la télé américaine. Et les rares séries nouvelles ne sont que ce qu'on appelle des «cop show», des séries policières. Et c'est sur le câble - qui a aujourd'hui plus de moyens - qu'on trouve quelques séries innovantes mais pas faites pour une grande chaîne généraliste, par exemple Mad Men sur AMC.

Nouvelle manne. Ce coup de mou dans les séries américaines pourrait bien avoir des conséquences un peu partout dans le monde et notamment en Europe, où la fiction américaine est largement dominante, comme le montre une étude récente de l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Et la France où les grandes chaînes font leurs meilleures audiences avec des séries américaines venues des networks a largement de quoi s'inquiéter. Que fera TF1 - où les Experts montrent des signes d'essoufflement - quand Docteur House, qui a dépassé les 10 millions de téléspectateurs la semaine dernière, sera lui aussi fatigué ? Déjà, The Mentalist, que la Une a acheté (Libération du 24 mars) réunit moins de téléspectateurs aux Etats-Unis que les Experts, et on a du mal à imaginer que cette série devienne la nouvelle manne de TF1, diffusée, comme les aventures de Gil Grissom, jusqu'à dix épisodes par semaine. Comment fera France 2 sans son FBI du lundi pour battre la Une ? Et M6, dont les cartons d'audience se font à grands coups de NCIS ? Une énigme des plus retorses en perspective. Las, Gil Grissom n'est pas disponible : il promène son chien.

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