Cartographie : Apple reste en Plans

par Erwan Cario
publié le 10 octobre 2012 à 10h05

Apple fait tout pour améliorer son service. Ça ne devrait pas être trop dur : on part de loin. Mais ça s’arrange : le pont de Brooklyn, à New York, a, par exemple, perdu son apparence toute gondolée pour retrouver un tracé rectiligne plus propice à la circulation automobile. C’était sans doute le bug le plus emblématique de la nouvelle application de cartographie intégrée au système iOS6, lancé fin septembre, qui fait tourner les iPhone et les iPad. Mais c’est loin, très loin, d’être le seul. Encore aujourd’hui, une simple requête sur Reuilly-Diderot, à Paris, peut envoyer l’utilisateur Porte d’Auteuil, soit à plus de 11 kilomètres de distance.

Pour accompagner la sortie de son nouvel iPhone 5, Apple a décidé de bouter l’application Google Maps pour proposer son propre outil, Plans.

Présentée à grand renfort d'images aériennes issues du mode appelé «flyover», qui donne une impression de survol, l'application se révèle très vite limitée, remplie de représentations 3D farfelues, de données cartographiques approximatives ou datées, et surtout de grossières erreurs de localisation. Des sites, tel The Amazing iOS6 Maps , s'amusent à recenser les bugs, et le PDG d'Apple, Tim Cook, est contraint à d'inédites excuses : «Nous sommes extrêmement désolés pour la frustration que cela a provoqué pour nos clients.»

Le viaduc de Millau sur Apple Plans

Selon le New York Times , l'intégration d'une fonction de cartographie sur le premier iPhone ne fut décidée que quelques semaines avant sa présentation, en janvier 2007. Steve Jobs aurait pris cette décision au dernier moment pour mettre en avant l'écran tactile. Difficile, en effet, de trouver mieux pour impressionner que l'effet de zoom à deux doigts. Faire appel à Google est alors une évidence : ce n'est pas encore l'ennemi juré et il possède un savoir-faire assez unique en cartographie numérique. Jobs le confirmera lors d'une interview croisée avec Bill Gates -- restée célèbre -- à la conférence AllThingsD , toujours en 2007 : «Nous savons faire le meilleur logiciel du monde pour visualiser des cartes, mais nous ne savons pas gérer les cartes elles-mêmes. Nous avons donc conclu un partenariat avec ceux qui savent le faire.» La cartographie mobile devient un incontournable des smartphones. En 2009, la fonction de boussole de l'iPhone 3GS permet même une orientation assistée en temps réel. On n'arpente plus la ville de la même manière.

Mais la cartographie mobile, et sa mirifique manne publicitaire géolocalisée, est aussi considérée comme le nouvel eldorado numérique. Et pas question pour Apple de laisser ses iClients à Google, même au risque de se jeter dans le grand bain sans savoir nager. La firme récupère donc les données du spécialiste du GPS TomTom et balance dans la précipitation une application mal fignolée. Le magot à venir est sans doute plus important que la réputation d’Apple. Au-delà, l’entreprise est sans doute mue par sa volonté à peine dissimulée de contrôle sur ses utilisateurs.

La lagune de Carpintero a disparu à Tampico (Mexique)...

Une citation célèbre de Lucy Fellowes, commissaire de l'exposition «Power of Maps», qui a eu lieu en 1993 à New York, explique que «chaque carte vous amène à voir le monde à la manière de celui qui l'a faite» . Et le journaliste Olivier Burkeman, du Guardian , de rebondir dans un article publié fin août : «Qu'arrive-t-il lorsque nous sommes amenés à voir le monde par les yeux d'une poignée de grandes entreprises californiennes ? Pas besoin d'être conspirationniste pour se demander si nos vies ne sont pas façonnées de manière subtile par leurs valeurs et leurs intérêts.»

Paru dans Libération du 9 octobre 2012

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