Critique

«Cendres» bien réchauffé

par Eric Loret
publié le 10 septembre 2008 à 4h57

Les Cendres du temps, c'est ce film d'arts martiaux auquel les plus de 35 ans se rappellent n'avoir rien compris en 1994, pour cause de temporalité explosée : comme quoi le titre n'était pas pour du beurre. Mais grâce à des indications chronologiques séparant les récits, ce montage définitif (il en existe plusieurs, pas tous approuvés par Wong Kar-Wai) facilite la compréhension.

L'oeuvre était aussi fort maniériste et, dans sa vêture numérique, elle l'est encore plus. Le film original semble vu au travers d'un voile, comme si on le scrutait par-delà un temps qui aurait pris consistance : grain très visible sur certains plans, effets de filé ou de flou, saturation des couleurs qui accentuent le pictorialisme au point de nous téléporter parfois chez Sokourov ou Guy Maddin. Autre symptôme de la machine à remonter le souvenir qu'est ce «redux» : le traitement du son. La musique a été réarrangée, on lui a adjoint des compositions avec Yo-Yo Ma au violoncelle. Ainsi, la scène centrale de combat entre Hong Qi et les brigands, qui faisait déjà figure de western spaghetti speedé, se retrouve en hallucination totale quand la musique passe de l'objectif au subjectif (la bande-son est à un moment étouffée, comme au fond d'un trou), ce qui peut certes signifier le stress du protagoniste, mais donne surtout l'impression qu'il n'est pas dans le même film que ses attaquants, comme si, planté devant l'écran jaune fluo du désert que les cavaliers emplissent peu à peu, il relevait d'un autre espace-temps.

Les Cendres de 1994 s'amusait déjà à réduire la temporalité (éléments défilant à des vitesses différentes dans un même plan, itérations narratives). Cette mouture redux revisitée par le maître, en redisant la redite, pousse à bout la dialectique de la mémoire et du présent, retrouvant d'un peu plus près l'éternité.

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