Censure politique: Google joue la transparence

par Sophian Fanen
publié le 18 juin 2012 à 17h31

Depuis fin 2009, Google publie chaque semestre la section «Government» de son Transparency Report portant sur les demandes provenant d'Etats ou de tribunaux (nous en parlions il y a peu lors de la publication des demandes concernant des infractions aux droits d'auteur ). Voici donc la cinquième livraison volontaire -- portant sur le deuxième semestre 2011 -- du géant du web, qui en a fait un argument de transparence autant qu'une vitrine publicitaire. Pour Google, plus l'information circule plus la publicité circule et plus ses caisses se remplissent; sa démarche n'a donc pas que des visées humanistes, mais l'entreprise a toujours été volontaire contre toute censure en ligne (on se souvient de ses hésitations face aux exigences du pouvoir chinois) et fait encore ici preuve d'une démarche de transparence à souligner.

«Malheureusement, ce que nous avions constaté au cours des deux dernières années n'a pas changé, analyse Dorothy Chou , une responsable de la politique de transparence de Google, sur le blog officiel de la marque. [...] Les organismes gouvernementaux de différents pays nous demandent parfois de supprimer du contenu politique posté par les utilisateurs de nos services. Nous espérions être face à une anomalie, mais nous savons maintenant qu'il n'en est rien.»

«C'est inquiétant non seulement parce que la liberté d'expression est remise en cause, mais parce que certaines de ces demandes émanent de pays qu'on ne soupçonnerait pas -- des démocraties occidentales qu'on n'a pas l'habitude d'associer à la censure, ajoute-t-elle. [...] Nous réalisons que les chiffres que nous communiquons ne fournissent qu'un petit éclairage sur ce qui se passe dans le web en général, mais nous espérons qu'en cultivant la transparence sur ces données, nous pouvons contribuer au débat public sur la façon dont le comportement des gouvernements façonne internet.»

Interrogée par Ecrans.fr, Lucie Morillon, en charge des nouveaux médias chez Reporters sans frontières (qui s'occupe entre autres du rapport annuel sur « les ennemis d'Internet »), considère que cette transparence affichée par Google est «un pas dans la bonne direction. Ces chiffres peuvent nous servir d'outil de pression sur des régimes qui ne respectent pas le droit à l'information et à la libre expression. On se rend compte que de nombreux gouvernements pensent encore que l'information politique doit être contrôlée, et qu'il s'agit parfois de démocraties.»

Au total, entre juillet et décembre 2011, Google a ainsi accédé à environ 65% des 467 demandes de suppressions de contenus émanant de tribunaux, notamment sur les pages de son moteur de recherche ou de son site YouTube, et à 46% des 561 demandes provenant de structures policiaires, administratives ou autres. Le nombre de demandes est dans les deux domaines en augmentation régulière depuis que Google différencie l'origine des demandes de suppression, mais cette hausse peut être en partie liée à la multiplication des services offerts par Google (Gmail, YouTube, Blogger...) et à l'augmentation naturelle du trafic sur Internet. Quoi qu'il en soit, l'Ukraine, la Jordanie et la Bolivie sont mentionnées pour la première fois parmi les pays demandeurs.

Détail des demandes de l'Espagne.

On apprend donc que les autorités espagnoles ont demandé à Google de retirer 270 résultats de recherche «renvoyant sur des blogs ou articles qui mentionnaient certaines personnalités publiques» , comme des maires ou des procureurs. Des demandes auxquelles Google «n'a pas satisfait» selon le rapport. Mais la firme de Mountain View a tout de même suivi les demandes de diverses autorités espagnoles pour 78% des dossiers émanant de tribunaux et 8% des dossiers extra-judiciaires.

Google ne détaille pas la nature de ces demandes satisfaites, mais elles peuvent être liées, comme en France , à des jugements pour diffamation ou à la diffusion -- interdite par les conditions générales d'utilisation de Blogger ou YouTube, d'images pornographiques. Les autorités françaises ont ainsi mis en cause 58 liens, messages ou vidéos. Google a accédé à 67% des demandes appuyées par la justice et 47% des autres.

Détail des demandes de la France.

En Europe, l' Allemagne a pour sa part demandé la désindexation d'urls de site «qui revendent des souvenirs nazis et comportent du contenu d'une extrême violence ou de la pornographie» , ou encore «898 résultats de recherche [...] liés à des forums et des blogs contenant des déclarations visant un organisme gouvernemental et l'un de ses employés» .

Au Brésil , une cour électorale a conduit Google à supprimer quatre profils d'utilisateurs de son réseau social Orkut en raison de leur contenus politiques. Dans ce pays, la législation sur la diffamation permet en effet d'obtenir le retrait d'informations même si elles sont vérifiées, explique Google sur son blog. Il est en outre interdit de montrer des parodies de candidats en période électorale, ce qui a notamment conduit à supprimer des extraits de spectacles comiques.

Au Canada , Google s'est refusé à supprimer de YouTube une vidéo où un citoyen canadien urinait sur son passeport avant de le faire disparaître dans les toilettes, comme le demandait l'agence officielle Passeport Canada.

En Thaïlande , le ministère de l'Information, des Communications et des Technologies a demandé le retrait de 149 vidéos qui «auraient constitué des insultes à la monarchie, et de ce fait, ne respecteraient pas la loi thaïlandaise de lèse-majesté» . Google a restreint le visionnage de 70% de ces vidéos en Thaïlande.

Dans le même domaine, les demandes officielles de la Turquie concernaient essentiellement des vidéos considérées comme diffamatoires envers Mustafa Kemal Atatürk, le père de la république turque. Google a rendu certains clips mis en cause inaccessibles dans le pays.

Concernant ces deux derniers pays, Lucie Morillon regrette pour RSF que les informations fournies par Google «ne soient pas plus précises, afin de connaître la nature exacte de ce que ces régimes considèrent comme insultant. Même chose pour le Brésil, qui a une loi sur la diffamation à l'application très large. De nombreux blogueurs sont fréquemment attaqués sur ces principes.»

Autre limite des données encore superficielles fournies par Google: «des pays comme la Chine ou la Russie n'y apparaissent pas ou presque pas, parce qu'ils utilisent d'autres moyens de censure, notamment en s'adressant directement aux fournisseurs d'accès.»

Reporters sans frontières considère néanmoins la décision prise par Google de publier ces données comme très positive, souhaitant que cette habitude se généralise chez d'autres entreprises du secteur. «Les demandes de retrait de liens, de pages ou de vidéos sont une censure plus difficile à suivre que la censure d'un site entier, pointe encore Lucie Morillon. On s'en rend moins compte, c'est bien plus diffus et cela mobilise moins les internautes.»

(Avec AFP)

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