Critique

Ces bobines qui firent l’actualité

DVD . Une sélection des meilleures archives Pathé et Gaumont diffusées au cinéma de 1908 jusqu’à la fin des années 60.
par Marie Lechner
publié le 4 janvier 2010 à 0h00

En 1908, Charles Pathé crée Pathé journal, rassemblant en un seul patchwork hebdomadaire les vues historiques jusqu'alors diffusées aléatoirement, talonné par Gaumont qui lance son journal cinématographique, Gaumont Actualités, en 1910, nourri par son réseau mondial de reporters. Soixante ans plus tard, la télévision éclipse ces «cinéactualités» projetées dans les salles obscures en clôture puis en ouverture de séance. Entre ces deux bornes, le cinéaste Pierre Philippe propose en soixante extraits de films de rendre hommage à «l'un des genres les plus négligés du cinéma».

«Le cinématographe ne fut-il pas, dès ses premiers pas, un cinéma d'actualités et les bandes d'actualités ne firent-elles pas, au même titre que les comédies, drames, féeries du premier âge, partie du spectacle varié offert aux amateurs d'images animées ?» interroge le critique qui est allé farfouiller dans les vieilles bobines des archives Gaumont et Pathé pour son DVD.

Il en excave une sélection éclectique, mêlant le futile et l’historique, le people et le politique, le fait divers sordide et les paillettes en une traversée subjective du siècle. La sélection sur DVD évite le catalogue convenu et se double d’un livre richement illustré qui s’attarde sur le hors-champ de chacun des films. On observe, incrédule, des hommes volants et leur chute fatale : celle - mythique - du tailleur autrichien Franz Reichelt qui, en 1912, saute du haut de la tour Eiffel (première mort filmée en direct), suivie en 1937 de celle de l’homme-oiseau Clem Sohn s’écrasant dans son costume de chauve-souris. On fricote avec le showbiz - Mistinguett, Piaf, Hallyday ou Bécaud - et les sportifs comme le dandy boxeur Georges Carpentier (dans un film sexy qui s’attarde longuement sur sa plastique de rêve) ou encore la joli nageuse «Courrèges» Danièle Dorléans, sorte de Laure Manaudou avant l’heure.

Activisme. Les documents historiques (assassinat d'Alexandre Ier sur la Canebière en 1934, Front populaire, incendie du Reichstag, Mai 68…) côtoient des informations insolites, comme ce film tourné pendant la Seconde Guerre mondiale, où les cheveux sont récupérés dans les salons de coiffure et transformés en pull ou chaussons pour faire face à la pénurie. Ou ce défilé de mode en robes en cellophane transparentes, prétexte à exhiber des petites culottes coquines.

Certaines parmi ces images oubliées entrent fortement en résonance avec l’actualité immédiate. Ainsi ce document de 1911 sur Monsieur Cochon, anar moustachu, défenseur des sans-logis, qui avait imaginé toutes sortes de happenings pour attirer l’attention sur les problèmes de logement des pauvres. Le plus célèbre est le déménagement dit «à la cloche de bois» des locataires insolvables. Accompagné d’une fanfare - le Raffut de Saint-Polycarpe - et précédé de cette énorme cloche, il transportait le mobilier des familles menacées d’expulsion et occupait des appartements vides. Ou faisait construire des abris de fortune sur les pelouses des Tuileries quand il n’occupait pas la cour de la préfecture et de l’Hôtel de ville ou prenait d’assaut l’église de la Madeleine. Un activisme qui n’est pas sans rappeler les tentes déployées sur le canal Saint-Martin presque cent ans plus tard par les Enfants de Don Quichotte.

Autre extrait qui fait étrangement écho à l'actualité récente, ces images de l'inauguration de la mosquée de Paris, en 1926. Pierre Philippe rappelle la polémique qui avait animé la vie publique de l'époque, citant les propos de Maurras dans l'Action française : «Cette mosquée en plein cœur de Paris ne me dit rien de bon […] S'il y a un réveil de l'islam, et je ne crois pas que l'on puisse en douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline de Sainte-Geneviève […] représente une menace pour notre avenir.» La votation suisse sur l'interdiction des minarets a suscité le même genre de propos. Plus étonnant, cette «journée avec les musulmans de Paris», datant de 1935, qui nous fait partager leur quotidien avec un ton bienveillant, loin des caricatures dont ils faisaient alors l'objet au cinéma.

«Flashs». En dépit de sa fascination pour les Cinéactualités, Pierre Philippe ne passe pas sous silence leur côté obscur : propagande, pseudo direct (telle la capture de Bonnot, dont on ne sait si les images sont authentiques ou tournées a posteriori), mise en scène (l'assassinat de Louis Leplée), analysant en creux l'évolution de leur grammaire, ainsi que leur tendance «au formatage, au raccourcissement, jusqu'à devenir de digestes flashs annonciateurs de nos informations d'aujourd'hui». Rendez-vous attendus, ces films, qui forgent les opinions et nourrissent l'imaginaire contemporain, n'ont pas toujours été «l'école de demain», selon les vœux de Charles Pathé. Ils ont aussi «omis, falsifié, truqué», servi de relais à des thèses nauséabondes et affichaient déjà à l'époque «un goût pour les paillettes et le scandale».

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