Ces pirates de Disney

par Bruno Icher
publié le 23 mai 2007 à 7h55

Cela doit ressembler à ça, la «magie Disney». Une sorte de faculté à retomber invariablement sur ses pattes. Aujourd'hui, en plein Festival de Cannes, la firme de Mickey inonde le globe avec le troisième volet de sa saga Pirates des Caraïbes, sans même sembler s'apercevoir qu'il se passe quelque chose lié au cinéma dans le sud de la France. Arrogance ? Mépris ? Même pas, juste une démonstration de force d'une compagnie capable de s'assurer des recettes colossales avec trois films dont la trame, le scénario et le contexte historique sont issus... d'une attraction des parcs Disney.

Il s'agit là de la concrétisation la plus spectaculaire d'une stratégie de grande envergure consistant à fabriquer des licences, de la propriété intellectuelle exclusive, pour la décliner sur tous les modes et multiplier les sources de revenus. C'est que la maison possède des antennes dans toute l'industrie du divertissement : studios de cinéma, structures financières de production, studios de développement de jeux vidéo, maisons d'édition de DVD et de livres, chaînes de télévision, département de création de jouets, sans oublier le rouleau compresseur : les parcs d'attraction.

Bruits et fureur. Avant, Disney faisait des dessins animés qu'il déclinait en produits dérivés. Depuis Pirates des Caraïbes, la firme fait fonctionner sa machine à rebours. Petit retour historique. En 1967, tonton Walt inaugure Disneyland, le premier parc à thème de l'histoire, à Anaheim, au sud de Los Angeles. L'un des clous de cette fête foraine nouvelle génération est une rivière souterraine sur laquelle le visiteur est invité à une balade pleine de bruits et de fureur. Depuis sa chaloupe, chacun découvre des dizaines d'automates mimant les scènes épiques de l'assaut donné par des pirates du XVIIIe siècle à une place forte d'une île des Caraïbes. Ville en flammes, combats au sabre, canons crachant le feu, tout est conçu pour un registre «spectacle pour toute la famille», même le gag douteux de femmes poursuivies par des pirates lubriques.

Le succès est tel que l'attraction devient une figure imposée de chaque nouveau parc : à Orlando (Floride) en 1973, à Tokyo en 1986, jusqu'à Disneyland Paris en 1992, qui possède son «Pirates des Caraïbes» construit sur mesure. En clair, les trois volets des aventures de Johnny Depp-Jack Sparrow dans les mers du Sud n'auraient sans doute jamais existé si, depuis près de quarante ans, des centaines de milliers de touristes enthousiastes n'avaient navigué sur les rivières artificielles des parcs.

En décidant de développer cette licence , la firme Disney a enclenché les grandes manoeuvres sans négliger le moindre détail, s'attachant les services du réalisateur Gore Verbinski («Le Cercle»), de Johnny Depp qui a fait la moitié du succès des deux premiers volets, ou s'associant avec le producteur le plus costaud de Hollywood, Jerry Bruckheimer, avec, à la clé, des budgets de 140 à 220 millions de dollars par film.

Bides. Ensuite, place aux produits dérivés. Le culte du détail est tel que les parcs envisagent de modifier les attractions pour y ajouter des éléments de scènes fameuses du film. Tout comme les films y vont de leur clin d'oeil aux saynètes des attractions. Et ce n'est qu'un début. Parce que rien n'empêche d'envisager un Pirates 4, 6 ou 12. Mais surtout parce que la politique Disney, échaudée par les bides de ses longs métrages d'animation (l'Ile au trésor...), jadis fer de lance de la maison, a évolué vers un modèle plus ouvert. Illustration avec le succès d'un jeu vidéo lancé par Disney Interactive Studios (ex-Buena Vista) en mars dernier : Spectrobes. Le trait y est à l'évidence japonisant et le principe du jeu s'inspire de quelques solides succès asiatiques, notamment l'indétrônable Pokemon.

Graham Hopper, directeur général de Disney Interactive Studios, est l'un des hommes du renouveau. «L'objectif est effectivement de créer de nouvelles licences tout en continuant à fabriquer des jeux inspirés des univers de référence de Disney. Cela donne d'un côté Spectrobes, une toute nouvelle licence, et, de l'autre le jeu Pirates des Caraïbes, inspiré des trois films. C'est sur cet équilibre que se situent les enjeux artistiques et financiers de notre métier. Nous avons appliqué cette méthode à tous les secteurs : télévision, cinéma, parcs, etc. Il n'y a pas de raison que cela ne fonctionne pas avec le jeu vidéo.»

En clair, l'avenir des nouvelles licences de jeux de Disney, comme Spectrobes, est tout tracé : dessins animés pour la télé, objets dérivés et, si tout va bien, un long métrage en salles et sa déclinaison en DVD. Sans oublier, pour boucler la boucle... une attraction dans tous les parcs.

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