Ceta, le jumeau d'Acta venu du Canada

par Sophian Fanen
publié le 10 juillet 2012 à 20h08

Expulsé des frontières de l'Union européenne la semaine dernière à grand coup de pied au cul , le traité international anti-contrefaçon Acta va-t-il revenir par la fenêtre? C'est ce que craignent désormais les activistes du réseau qui se sont battus depuis le début de l'année 2012 contre ce texte accusé de brader les libertés individuelles au profit de la protection de la propriété intellectuelle.

Hier, l'universitaire canadien Michael Geist, titulaire de la chaire en droit d'Internet à l'université d'Ottawa, a en effet révélé sur son blog les similitudes entre le texte final d'Acta et le texte -- récemment fuité -- d'un autre accord: Ceta, l'accord commercial Union européenne-Canada, actuellement en négociation entre Bruxelles et Ottawa.

«L'UE envisage d'utiliser l'accord Ceta, dont la négociation est presque achevée, comme une porte dérobée afin de mettre en œuvre les dispositions d'ACTA» , commente Michael Geist. On retrouve ainsi dans Ceta un copier-coller à l'identique de plusieurs articles très critiqués lors des débats sur Acta, dont le fameux article 27 qui, en voulant pourchasser les internautes qui «pourraient» commettre une infraction au copyright, menaçait leurs droits fondamentaux.

Le texte final d'Acta, rejeté par le Parlement européen

Le texte de Ceta en février 2012

«L'Union européenne a également proposé d'intégrer les peines prévues par Acta au sein des chapitres de Ceta concernant la coopération, continue Michael Geist. Des dispositions pénales qui ont été la cible des critiques du Parlement européen pour leur manque de proportionnalité et leur application incertaine.»

Réagissant sur ZDNet , un porte-parole du commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, qui mène les négociations sur Ceta comme il l'a fait pour Acta, a estimé que le traité Canada-UE n'a «rien à voir avec Acta et n'est pas une tentative de revisiter ce que le Parlement a rejeté la semaine dernière. Nous ne faisons pas de commentaire sur le document [qui a fuité] et nous refusons de le comparer avec Acta.»

Comme le note le chercheur dans un nouveau billet publié aujourd'hui, la version de Ceta qui a fuité (oui, il s'agit ENCORE d'un traité négocié le plus secrètement possible) date du mois de février, et le texte a pu évoluer depuis, notamment ses articles concernant la protection intellectuelle. Mais «le dernier compte-rendu sur les négociations côté canadien, en mai, indique que les dispositions portant sur la propriété intellectuelle ne sont plus une source de désaccord. Ceci suggère que [le Canada et l'UE] se sont mis d'accord pour adopter le texte d'Acta au sein de Ceta.»

De plus, estime Michael Geist, l'accord «ne sera pas renégociable» une fois arrivé au Parlement européen, comme cela s'est passé avec Acta. «Attendre le texte final, c'est donc prendre le risque d'une nouvelle bataille sur Acta au Parlement» , bataille qui «serait plus difficile, [car] Ceta est un accord commercial global au sein duquel la propriété intellectuelle ne constitue qu'un chapitre -- où les dispositions d'Acta ne constituent elles-mêmes qu'une partie [...]. Ceta touche à pratiquement tous les aspects de l'économie, ce qui signifie que la pression sur le Parlement européen pour l'approuver [...] sera beaucoup plus forte que ce fut le cas avec Acta.»

Les révélations de Michael Geist ont déjà déclenché des réactions parmi les activistes du réseau. La Quadrature du Net, en pointe dans la mobilisation anti-Acta, rappelle ainsi sur son site que «ce qui a été refusé ne devient pas acceptable simplement en changeant d'emballage. Cette manœuvre pour faire revenir Acta par la petite porte démontre, en accord avec les déclarations de [Karel] De Gutch après le vote du 4 juillet, qu'il n'a aucune considération pour les citoyens et le Parlement, et n'est que le jouet des lobbies des industries du copyright. Nous devons vaincre Ceta comme nous avons vaincu Acta.»

Après le vote du Parlement de Strasbourg, Karel De Gutch avait notamment annoncé son intention de demander à la Cour européenne de justice (CJUE) de continuer son étude du texte d'Acta, demandée en mars par la Commission européenne afin de calmer les critiques. Une façon de verrouiller un peu plus les dispositions du texte dans le cas où elles réapparaîtraient sous une autre forme, dénoncent depuis ses détracteurs. La commission des Affaires juridiques du Parlement européen a depuis recommandé à la CJUE d'interrompre son travail sur le texte qui a été rejeté par les eurodéputés.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus