Menu
Libération

Chatroulette : faites détourner !

par Marie Lechner
publié le 5 avril 2010 à 12h07

Alors qu'on ronronnait en sécurité dans notre moelleux salon Facebook, entouré de nos amis, voilà que surgit Chatroulette au succès fulgurant avec plus de 1,5 million de personnes par jour. Ou le retour de la jouissive barbarie originelle du Web. Ce vidéochat aléatoire, qui permet de converser via sa webcam, n'a rien de révolutionnaire si ce n'est qu'il nous met nez à nez avec de parfaits inconnus piochés au hasard aux quatre coins de la planète .

«Nos outils les plus populaires, Google, Facebook, Twitter, ont été conçus pour domestiquer la sauvagerie du Web, pour circonscrire des prés carrés, user friendly. Chatroulette est un retour de flamme du passé. C'est l'anti- Facebook, un média social totalement aléatoire» raconte New York Magazine , dont le journaliste ne s'est visiblement pas remis de s'être fait «nexter» (comprendre zapper via la touche F9.)

Son succès tient à sa simplicité, à l’excitation de l’inconnu, ainsi qu’à la probabilité forte de croiser des bites. Comme si Chatroulette n’était pas déjà assez divertissant, le dispositif a inspiré un lot de détournements et de mises en scène trash ou drôles, pour tenter de capter l’attention de son interlocuteur blasé, prompt à activer le couperet F9. Ainsi, cette fillette, derrière sa webcam, qui demande «Do you like fish ?» Innocente question suivie de l’image de poissons fourrés sauvagement dans un anus poilu. Ou cette femme gisant dans une baignoire pleine de sang, ou encore ces pieds qui pendent dans le vide. Le but de ces fausses webcams (vidéos préenregistrées à l’aide de programme comme Manycam) est de provoquer des réactions horrifiées qui seront immédiatement postées sur Youtube.

Autre déclinaison, le «make this face» , consistant à imiter une grimace affreuse, ou le «dancing with» (des obèses, Hitler, Obama…) avec pour effet immédiat d'approvisionner le grand bêtisier Chatroulette sur Youtube. «Cette rétroaction consistant à poster les copies écrans sur Youtube, transforme Chatroulette en une véritable scène» , constate l'artiste allemand Aram Bartholl. Dans le cadre d'un atelier consacré à l'adaptation des jeux vidéo dans l'espace public, ses étudiants ont investi Chatroulette pour y créer un jeu d'aventure textuel à l'ancienne. Fiction interactive avec décor et personnages, où le joueur doit aider un homme masqué à trouver ses clés, en lui donnant des instructions par chat interposé.

«Ces performances sont juste une petite fraction visible de centaines de milliers de conversations ennuyeuses, tempère Aram Bartholl. Mais comme toujours à l'ère Twitter, il suffit qu'il y en ait un qui se lance, comme le gars au piano, pour que tout le monde copie et développe de nouvelles idées.»

Le «piano guy» , Merton, est devenue une célébrité en improvisant live au piano sur Chatroulette, fredonnant des chansons sur mesure à ses interlocuteurs anonymes. La vidéo de sa performance est la plus vue de tous les temps, plus de quatre millions de fois, ce qui n'a pas empêché Youtube de la retirer pour «violation des termes d'utilisation». Deux nouvelles versions sont désormais en ligne, ainsi qu'une tripotée de pâles copies, à la guitare, au kazoo…

Le rocker américain Ben Folds , suspecté d'être le fameux Merton à la capuche, lui a rendu hommage lors de l'un de ses concerts rediffusé sur Chatroulette.

Mais le pionnier en la matière est le groupe métal légendaire Faith no More, à l'occasion de sa tournée australienne. En se connectant le 26 février sur Chatroulette, on pouvait se retrouver en un clic sur la scène de Melbourne, sur écran géant devant un public survolté, face à face avec… Mike Patton.

Paru dans Libération du 03/04/2010

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique