«Chez France Télécom, nous ne sommes pas des escrocs»

par Catherine Maussion
publié le 17 janvier 2012 à 10h16
(mis à jour le 17 janvier 2012 à 10h19)

Secouée par l'offensive de Free sur les offres mobiles , et les attaques de son patron Xavier Niel à l'encontre de ses concurrents, Delphine Ernotte-Cunci, directrice exécutive de France Télécom-Orange France, riposte.

«Pigeons», «escrocs» , Xavier Niel n’a pas été tendre avec vous…

Nos salariés ont été choqués par la virulence des échanges. La violence des propos de certains clients dans les boutiques et sur les plateaux d’appels a surpris. Cela tient plus à la forme des annonces qu’au fond. Cela se calme. Qu’on accuse l’entreprise dans laquelle les agents travaillent, et pour 30% d’entre eux depuis plus de trente ans, d’escroquer les clients, ce n’est juste pas audible. Moi-même, j’y suis depuis vingt-deux ans. A la fin des années 70, la France était très en retard dans la téléphonie. L’entreprise s’est construite autour de cette mission : apporter des nouveaux services d’abord aux usagers et maintenant aux clients. Et ces mots très durs, c’est contraire à l’esprit de la maison. France Télécom-Orange, c’est 80% d’un secteur qui emploie 120000 salariés en France, dont 80000 chez Orange. Cela fait beaucoup de gens maltraités.

Les écarts de prix énormes brocardés par Xavier Niel entre son offre et celle de ses concurrents n’ont pas été inventés, tout de même…

Non, nous ne sommes pas des escrocs. Regardez les chiffres publiés par le régulateur ! Le prix du téléphone a baissé de 7% entre 2005 et 2011 et pour un usage qui n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a six ans. Dans le même temps, les prix du transport ou de l'électricité ont progressé de 15%. On dit que le prix du mobile en France est le plus cher d'Europe ! Ce n'était pas vrai pour les offres SIM only [sans mobile, ndlr] . On se trouvait plutôt dans la moyenne européenne. Maintenant, depuis l'arrivée de Free, et à l'exception de l'Autriche, nous sommes les moins chers d'Europe. Nous étions déjà les moins chers dans l'ADSL…

Xavier Niel critique vos marges…

Je rappelle que Free affiche près de 40% de marge dans l'ADSL, c'est le champion du secteur. Ces marges sont parfaitement dans la tendance des opérateurs en Europe. La question n'est pas de savoir si elles sont trop fortes, mais de regarder ce qu'on fait de cet argent. Les télécoms sont une industrie à fort besoin d'investissement financé par nos marges ; ils représentent 2,6 milliards en France en 2011. C'est aussi 2 milliards en France d'ici à 2015, dans la seule fibre ! Nous avons des investissements colossaux à réaliser pour améliorer la couverture mobile et la capacité de nos réseaux à écouler le trafic. Les marges servent aussi à acheter des fréquences. Nous avons investi 1,2 milliard pour acheter les fréquences 4G [Internet mobile à très haut débit] , ce qui permettra d'améliorer l'Internet mobile.

Allez-vous lever le pied pour les dividendes, comme le suggère le régulateur des télécoms ? Ou allez-vous tailler dans les investissements ?

Les investissements, cela sert aussi à payer les gens qui vont creuser des tranchées, à acheter du matériel. C’est pour cela que nous avons embauché 4 000 personnes à France Télécom l’an dernier, et nous avons 5 000 jeunes en contrat d’apprentissage. Les marges servent aussi à rémunérer des actionnaires et à verser des dividendes aux petits porteurs qui ne sont pas tous riches, dont nos salariés qui sont à 80% nos actionnaires.

Free brocarde l’opacité de vos offres, la minute de voix, sept fois plus chère que la sienne, ou le SMS, dix à quinze fois plus coûteux…

Vous voyez bien que nos offres ne sont pas si touffues que cela puisqu'il a réussi à comparer ! Si nous multiplions nos offres, c'est pour mieux satisfaire chacun de nos clients. Et nous les avons beaucoup simplifiées. En 2010, nous avions 47 possibilités de moduler le forfait Origami. Nous n'en avons plus que 15 aujourd'hui. Et nous continuons d'écouter nos clients. La communauté des abonnés à Sosh [la gamme low-cost vendue sur Internet] nous a dit qu'elle n'avait pas besoin de la voix en illimitée, mais qu'il lui fallait beaucoup de SMS. Nous avons donc revu notre forfait d'entrée de gamme : 2 heures, les SMS et les MMS en illimité et le wi-fi en illimité abaissé à 9,90 euros. Pour 5 euros de plus, vous avez en sus 1 Go d'Internet mobile. Et le tout illimité est à 24,90 euros. Certes, elle est 5 euros plus cher que celle de Free, mais il y a le service Orange en boutique.

Certains se félicitent que Free soit venu secouer le marché…

C’est bien pour le consommateur que le prix du mobile recule. Mais que va devenir l’équilibre que l’on avait avant, entre des investissements très lourds, une juste rémunération des actionnaires, et une marge de 35% nécessaire à l’investissement. Où en sont les Nokia, les Alcatel, et les autres champions européens, comparés aux leaders américains qui n’ont pas cette pression sur les prix ? Oui, on peut se féliciter de l’arrivée de Free dans le mobile pour les consommateurs français à court terme, mais on peut s’interroger sur l’avenir de ces champions, de leurs investissements et aussi de leurs emplois. France Télécom emploie 100000 salariés en France, dont 66% de fonctionnaires. La question pour nous qui n’envisageons pas de plan social, c’est comment nous mobilisons nos équipes, nos 1 200 boutiques, nos 200 sites pour gérer les appels, nos 12 000 techniciens d’intervention. Il y a toujours quelqu’un en boutique pour aider les gens à mettre leur carte SIM dans le terminal, ou à régler leur sonnerie. S’il y a un marché du «SIM only», il y aura toujours un marché pour les offres incluant le mobile. Mais on ne touchera qu’à peine à notre gamme classique. Face à Free, opérateur low-cost, nous répondrons avec Sosh, notre low-cost. A la différence que nos clients Sosh ont le droit de venir chercher du conseil dans nos 1200 boutiques !

Paru dans Libération du 16 janvier 2012

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